Le premier hypermarché « gaulois » fête ses 50 ans
Carrefour ouvre le premier hypermarché de « Gauloisie » en région parisienne, à Sainte-Geneviève-des-Bois.
L’enseigne doit son nom au fait que ce magasin est implanté sur une zone suburbaine de la banlieue parisienne-sud au carrefour de la rue Jean Mermoz et de la route de Corbeil.
Un « C » blanc dans un carré posé en diagonale, bleu d’un côté, rouge de l’autre : Une enseigne tricolore.
Le blanc de la pureté positionnée entre le bleu de la spiritualité et le rouge de la vie, le blanc de la neutralité positionné entre le bleu de la fraîcheur de la mer et la fraîcheur de la viande.
C'est le second souffle, décisif celui-là, du commerce de détail en libre-service, mais à grande échelle cette fois-ci, avec des magasins d'une surface supérieure à 2.500 m².
Désormais, on n’en ouvre plus, parce qu’il faut plus de 10.000 m² couvert pour faire un « hyper ».
L’équivalent d’un gros entrepôt.
Une véritable révolution commerciale, qui bouleverse le secteur et les habitudes des « Gaulois » à l'époque.
Sous 2.500 m², on trouve les « 5 rayons » traditionnels (épicerie, liquide, boucherie-charcuterie, BOF-ultra-frais, bazar), pour quelques 4.000 références minimum, qu’on peut retrouver dans des supermarchés de taille plus modeste.
Et notez qu’un consommateur « juge » un magasin, n’importe lequel, sur 10 références maximum, dont il a retenu le prix, soit pas plus de 400 références au total sur les 4.000 proposées.
C’est dire s’ils pouvaient faire très fort…
Depuis et avec l’agrandissement des surfaces, sont présentes jusqu’à 10.000 références, avec désormais la poissonnerie, les fruits & légumes, la boulangerie-pâtisserie, les produits-bruns et produits blancs de l’électro-ménager, des meubles-meublants, un rayon-jouets, la papeterie, les loisirs, voyages, banque-assurance, pharmacie, labo-photo, etc.
Et comme partout, les ventes saisonnières…
(Sous les auvents extérieurs chz les « Inter » avec 200 m² non décomptés, pour cause de loi « protectrice & liberticide » limitant à 1.000 m², qui a longtemps été le seuil de réglementation pour ensuite être descendu à 400 m² par la suite et ainsi se soustraire aux autorisations préalables d’ouverture…)
Tout ce qui peut se vendre…
Rejoignant ainsi un concept antérieur : Celui des grands-magasins, « tout sous le même toit », la première révolution de la distribution et du commerce populaire, du siècle précédent.
La seconde révolution avait été faite après-guerre avec la notion de libre-service : Le client se sert directement dans les gondoles et ne rencontre qu’un seul employé du magasin, la caissière.
Exit les vendeurs dans les stands, les rayons, qui font leur réapparition à la fois dans les allées des grands-magasins et des rayons des hyper, mais restent encore actifs dans les allées des magasins spécialisés, même de grandes surfaces.
La taille du magasin joue sur l’inconscient du client depuis cette époque : Plus c’est grand, moins c’est cher !
Le premier hyper peut effectivement se passer d’intermédiaires qui stockent pour lui et livrent tous les jours.
Pas sur toutes les gammes, mais sur les principales sorties et quelques dizaines de fournisseurs, les volumes sont ceux d’un grossiste de l’époque.
Depuis, ils ont disparu des livres et se contentent de se réfugier aux abords des grandes-villes et sur les carreaux des marchés d’intérêt nationaux, genre Rungis.
Alors forcément, mettre sous le même toit des produits de consommation courante, ils ne peuvent l’être qu’à des prix les plus avantageux que dans les commerces de proximité, aux superficies plus modestes.
Cela s'explique logiquement par des commandes en gros volumes.
Fournir de l'épicerie à l'électro-ménager, voilà la force et le choix de l'hypermarché.
Mais la force de l'hypermarché réside aussi dans le choix plus large, des gammes plus « profondes » que dans une supérette.
Mais moins que dans un magasin spécialisé sur un seul secteur de consommation.
Le concept vient des États-Unis : Large plage horaire (tels les « seven-eleven » qui veulent bien dire ce qu’ils annoncent) bordé d'un parking spacieux, facilitant l’accès.
Selon le principe de Chetochine : « No Parking, no business » !
Les parkings, c’est d’ailleurs devenus le talon d’Achille de la grande distribution.
Trop petit, le chiffre d’affaires ne parvient pas là, trop grands, c’est la ruine à construire et à entretenir.
Et de toute façon, ils sont saturés en fin de semaine…
Et en centre-ville, les parkings sont peu commodes et pas assez accessibles, d’où l’idée d’aller s’installer « au milieu des betteraves ».
Trujillo, un autre gourou-théoricien du commerce, a développé le concept autour de quelques préceptes comme : « Le succès repose sur trois pieds : le libre-service, le discount, le tamtam publicitaire. Qu'un seul vienne à manquer et tout s'écroule »,
« Empilez haut, vendez à prix bas », ou encore « Créer un îlot de perte dans un océan de profit. »
Les volumes faisant le reste.
Faut dire que le premier jour d’ouverture, ça eut été de la folie. Tout le monde voulait voir, tout le monde voulait pousser son caddie à roulette.
Un peu comme pour le premier « usine-center » aux abords de Roissy plusieurs décennies plus tard…
Et les volumes ont été au rendez-vous, tellement les prix étaient « attractifs », consolidant l’inconscient du client.
Les stocks tournent jusqu’à deux fois par semaine, une à deux fois par jour pour l’eau d’Évian (pourtant livrée exclusivement par le rail).
Payés à 90 jours aux fournisseurs, l’effet de levier est tel qu’un magasin, installations comprises, se paye en un an de marge brute.
Au moins pour les premiers : C’est devenu plus aléatoire par la suite, quand le territoire a été saturé de « grandes-surfaces ».
Les remboursements de TVA, avant ouverture, payaient le premier stock dit de « mise-en-place ».
Là encore, c’est devenu moins vrai…
Bref, un « jackpot » toujours gagnant, des « usines-à-cash » qui ont fait la fortune des pionniers en quelques années.
L'institut Kantar révèle que 94 % des « Gaulois » fréquentent une quarantaine de fois les quelques deux mille hypermarchés du pays, à raison de 40 euros en moyenne par panier.
Et si les clients sont encore là, l'image que projettent ces géants de l'alimentation est de plus en plus critiquée. Le nouveau PDG de Carrefour, Georges Plassat (un transfuge de Casino), explique ainsi ce désamour :
« Le problème des hypers, c'est que la vie s'en est échappée au profit de la rentabilité. »
Effectivement, l'un des préceptes de Bernard Trujillo était « faites du cirque dans vos magasins. »
Concept repris par la FNAC dans le loisir plus tard dans son magasin de la rue de Rennes à Paris, par « Surcouf » dans ses magasins de centre-ville pour les produits informatiques.
Et là, peu importe la marge…
Mais M. Plassat le concède, les commerces de grande distribution manquent de « festif et d'humain », le client n'étant plus « au cœur du magasin. »
Ainsi, selon un sondage Ifop réalisé fin 2012, 69 % des gaulois assimilent les courses en grandes surfaces à une « corvée ».
Faut dire que passer des plombes à pousser son chariot dans des kilomètres d’allée, faire ensuite la queue aux caisses et parcourir tout un parking sous la flotte pour retrouver sa bagnole, il y a mieux comme distraction !
Philippe Moati, économiste, va dans ce sens : « L'hyper est le produit de la précédente révolution commerciale, emblématique des Trente Glorieuses. Mais la société a changé et le commerce avec elle. Le "tout sous le même toit pour tout le monde", c'est fini. »
De nouveaux modes de consommation sont entrés en concurrence, portés par la démocratisation d'Internet, qui permet en quelques clics des offres plus abordables.
C’est effectivement plus commode et les prix sont tenus bas, voire très bas, parce que le stock des produits achetés est détenu et financé par le fournisseur-industriel, le « distributeur » se contentant de centraliser les commandes d’une journée, de se faire livrer le lendemain, de « répartir » dans la journée alors qu’il se fait payer à la commande.
Une autre forme de commerce où il ne doit plus rien rester le soir dans les rayons…
L'hyper doit se réinventer pour ne pas rater le bon wagon.
Michel-Edouard Leclerc, le président des centres E. Leclerc, en a conscience et explique au Parisien Magazine que « l'hypermarché doit lui-même se connecter à Internet. »
De nouvelles offres sont ainsi disponibles, comme le « drive », qui permet d'effectuer sa commande via le Net et d’aller la chercher sur le parking d’un centre le soir avant de rentrer chez soi.
L'autre condition pour que le client retrouve le chemin des rayons pourrait être de « ré-enchanter » l'hyper (« il y a de la vie Auchan »), en offrant aux clients un lieu convivial où ils seraient bien conseillés.
Être novateur quitte à se réinventer, tout en gardant l'essence de l'hyper, telles sont les éléments nécessaires à la survie de ces géants, si dans 50 ans, ils veulent fêter leur centenaire en bonne santé.
Personnellement, je n’y crois plus. L’hyper-commerce a tué le « petit-commerce » qui s’est réfugié sur ses « niches » de proximité ou de spécialisations.
L’e-commerce tue l’hyper-commerce à petit feu et le hard-discount tue les marges en vendant souvent de la m… (des étrons) et gare à celui qui irait dans leur sillage, avec pour conséquence de détruire sa notoriété.
Par ailleurs ces géants ont été étouffés par des réglementations liberticides empêchant leur développement.
Alors ils sont allés chercher des volumes à l’international et il en a cuit à toutes les enseignes : Le génie de la distribution-gauloise, c’est de vendre pas cher.
Le problème, c’est que n’importe qui peut vendre toujours moins cher.
Et les industriels s’en plaignent assez pour savoir être au cœur du problème…
(On y reviendra peut-être à l’occasion).
Notamment depuis que la vente-à-perte va pouvoir être réintroduite via la jurisprudence européenne (nous en reparlerons…)
Alors peut-être, et c’est ce qui manque, il s’agira « d’animer » les ventes par des promotions « canons ».
Mais ça demande du temps, des efforts et de l’argent.
Reste que ce ne sera pas forcément suffisant, puisque justement depuis 1963, et pour la troisième fois depuis 1959, l’année 2012 aura marqué une « contracture » du pouvoir d’achat du Gaulois.
Et comme ce n’est pas fini, on n’a pas fini non plus de compter les cadavres sur les chemins !