20 ans après : La VRAIE histoire de l'attentat contre le Rainbow-Warrior
Incompétence, bureaucratie et avarice sont les vraies raisons d'un scandale qui retentit dans le monde en 1985.
Le 10 juillet 1985, la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure – les services secrets français) coulait le navire écologiste Rainbow-Warrior dans le port d'Auckland à l'aide de deux bombes magnétiques, attentat qui tua un photographe portugais.
Vingt années plus tard, après des centaines d'articles, de livres – et de désinformations – consacrée à l'évènement, il était temps de faire un bilan final de cette affaire.
L'organisation internationale « Greenpeace », créée en 1971 par des écologistes canadiens, des objecteurs de conscience américains et des pacifistes de toutes nationalités, base son existence sur une légitimité écologique, abstraite et supranationale, et auto-décrétée.
Alors que la légitimité des États, même les plus démocratiques et à constitution « représentative » des peuple est basée sur des lois précises dans des contextes nationaux.
Que ces deux conceptions portent à conflit est certain et sciemment décrété par les uns aux détriments de tous les autres.
L'affaire « Rainbow-Warrior » est l'un de ces conflits.
Ainsi, le 7 juillet 1985, le « Rainbow-Warrior », navire amiral de Greenpeace arrive à Auckland et s'amarre au quai Marsden.
Dans la nuit du 10 juillet 1985, peu avant minuit, deux engins hautement explosifs, qui avaient été attachés à la coque du « Rainbow-Warrior », détonnèrent à quelques minutes d'intervalle.
La force de l'explosion fut telle qu'un trou de trois mètres de large fut ouvert dans la salle des machines sous la ligne de flottaison.
Le navire coule en quelques minutes.
Plus tôt, environ 30 personnes avaient célébré à bord un anniversaire et au moment de l'explosion, 12 personnes, capitaine compris, étaient encore à bord.
Onze d'entre eux parvinrent à atteindre le quai après que le capitaine du bord ordonne l’évacuation du navire… à quai.
Fernando Pereira, membre d'équipage et photographe officiel est tué par la seconde explosion alors qu'il tente de récupérer son équipement photographique dans sa cabine.
L'affaire a été immédiatement traitée comme une enquête pour homicide sous la direction du détective principal Allan Galbraith.
C'est ainsi que va commencer une des enquêtes les plus vastes que la Nouvelle-Zélande aie jamais connue.
La découverte d'un Zodiac en caoutchouc abandonné avec un moteur hors bord et la vue d'un mobile home bleu et blanc conduit la Police à interroger un couple francophone deux jours plus tard, puis à les arrêter le 15 juillet…
Le « Rainbow-Warrior » préparait alors une campagne de protestation contre les essais nucléaires français dans les Tuamotu.
L'enquête de la police néo-zélandaise conduit à l'arrestation et l'inculpation, le 19 juillet 1985, des « faux époux Turenge », le capitaine Dominique Prieur et le commandant Alain Mafart, tous deux agents de la DGSE.
En août 1985, puis en mars 1986, la Nouvelle-Zélande émer des mandats d'arrêt internationaux contre trois autres officiers français, Gérald Andriès, Roland Verge et Jean-Michel Bartelo, nageurs de combat de la base d'Aspretto en Corse, accusés d'avoir transporté les engins explosifs de Nouméa en Nouvelle-Zélande à bord de « l'Ouvéa », un voilier loué à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie.
À la suite d'articles de presse parus en « Gauloisie barbouzarde » et à l'étranger mettant en cause les services secrets, le Président « Mythe-errant » demande le 8 août à « Fafa l’empoisonneur », Premier ministre à l'époque, une enquête qu'il confia à Bernard Tricot.
Le 25 août, celui-ci présenta un rapport qui « tricotait » un scénario qui mettant hors de cause le gouvernement français et la DGSE, dont le seul objectif, déclarait-il, aurait été « l'infiltration de Greenpeace ».
De révélations en démentis, la crise politique culmina le 20 septembre 1985 lorsque le ministre de la Défense Charles « Aire-nue » fut contraint de démissionner, le patron de la DGSE, l'amiral Pierre Lacoste étant limogé le même jour.
Deux jours plus tard, le Premier ministre « Fafa l’empoisonneur », dans une déclaration inattendue et spectaculaire à l'hôtel Matignon, révéla « la vérité cruelle : Ce sont des agents de la DGSE qui ont coulé le Rainbow-Warrior, ils ont agi sur ordre » et que ces faits avaient été cachés à M. Tricot.
Condamnés le 22 novembre 1985 par la justice de Nouvelle-Zélande à 10 et 7 années de prison ferme chacun, les faux époux Turenge furent confiés en juillet 1986 à la « Gauloisie des tropiques » pour être transférés sur l'atoll d'Hao en Polynésie française ; ceci en échange de l'engagement de l'État de « Gauloisie atomique » de les garder sur cette île en résidence surveillée pendant trois années.
« Débile » sur le plan politique car c'était bien du terrorisme d'État, contestable dans sa conception, l'opération contre le « Rainbow-Warrior » baptisée « Satanic » (on se souvient de Charles « Aire-nue » questionné par « Mour-ou-zy », « Qui a donné l’ordre ? – Le diable ! – C’est l’œuvre de Satan ? – Oui ! ») aura été d'un bout à l'autre un modèle de préparation bâclée, d'organisation approximative avec des effectifs pléthoriques conçus par de vrais amateurs qui devaient se prendre pour des « pros ».
Ce qui est souvent la norme dans le monde des services secrets qui attire des personnes dangereusement immatures et autres casses-cou qui ne grandissent jamais.
Cette opération « Satanic », alias « Oxygène » était aussi une extension de la volonté politique de continuer d'effectuer des essais nucléaires dans le Pacifique malgré l'hostilité de la Nouvelle-Zélande, de l'Australie et des « méchants écologistes » de Greenpeace qui mettaient « en danger la souveraineté, l'indépendance et la grandeur de la France ».
Selon diverses sources, l'idée aurait germé fin 1984 ou début 1985 au quartier général du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) à Pirae, Tahiti, où le COMSUP, le vice amiral Hugues, s'inquiétait auprès du DIRCEN (Directeur du centre des essais nucléaires), l'amiral Fages, de la nouvelle campagne contre les essais nucléaires à Mururoa annoncée par Greenpeace.
Certainement voulait-on éviter un nouveau remue-ménage médiatique comme celui qui eut lieu lors de la « campagne de tirs » de 1973.
Avisé, Charles « Aire-nue » interrogea l'amiral Lacoste sur les possibilités d'une opération de sabotage du « Rainbow-Warrior ».
Le ministre de la Défense avait été impressionné par une précédente mission réussie du SDECE en octobre 1980 : une petite équipe du « service Action » avait réussi à couler le « Dat-Assawari », navire amiral de la flottille libyenne en plein milieu du port de Gênes.
Aussi les ordres donnés à l'amiral Lacoste furent-ils clairs : « Il faut envoyer le Rainbow-Warrior par le fond ».
L'amiral Lacoste prit tout de même ses précautions et se fit reconfirmer l'ordre par le chef d'état-major particulier du président de la République, le général Saulnier.
L'opération fut supervisée au cabinet « d’Aire-nue » par les colonels Heinrich et Fresnel du bureau des affaires réservées. À Matignon, le chargé de mission de « Fafa l’empoisonneur » auprès de la DGSE était le préfet Zilberzahn.
À la « Piscine » (QG de la DGSE), le chef du service Action (SA) était le colonel Lesquer.
L'auteur du plan fut le chef du bureau des opérations, le lieutenant-colonel Fabron, qui effectua personnellement des reconnaissances à Auckland.
L'équipe opérationnelle était constituée de 12 personnes.
Les effectifs étaient si disproportionnés que des sous-officiers étaient persuadés qu'il s'agissait d'un exercice.
Quant aux officiers, choqués par une riposte sans mesure avec la menace, ils renvoyèrent le plan à la hiérarchie pour confirmation de l'objectif.
L'ordre d'opération fut alors signé par l'amiral Lacoste, et le financement des « frais de mission » (1,2 million de FF de 1985) débloqué par Matignon sur les fameux « fonds spéciaux ».
À cette époque les services secrets français n'avaient pas d'agent « résident » en Nouvelle-Zélande bien que ce pays et son gouvernement travailliste (socialiste) était l'opposant le plus acharné contre les essais nucléaires de Mururoa et Fangataufa, éléments clé de la défense française. Le dernier « honorable correspondant » avait dû quitter le pays quelques années auparavant après la faillite de son entreprise de conserves de pâte d'huîtres.
La DGSE envoya donc un agent en avril et mai 1985 afin d'effectuer la reconnaissance des lieux et infiltrer Greenpeace.
Le choix de cet agent fut judicieux : comme les militants de Greenpeace Nouvelle-Zélande étaient essentiellement des femmes célibataires, ceci impliquait qu'inévitablement il y aurait des lesbiennes dans le groupe.
Suivant cette logique, l'agent choisi fut le lieutenant Christine Cabon, alias Frédérique Bonlieu, lesbienne avouée, une « spécificité » qu'elle dévoila même à l'anthropologue Bengt Danielsson, auteur du livre anti-nucléaire « Mururoa mon amour », qu'elle visita lors de son passage à Tahiti.
Ceci et une lettre de recommandation lui permit d'être acceptée au sein du groupe écologiste d'Auckland où, malgré une mauvaise humeur constante, elle se mit en ménage avec une journaliste écologiste d'un quotidien local.
Elle loua aussi à plusieurs reprises une voiture pour bien reconnaître les sites qui serviront de lieux de rendez-vous de l'équipage du yacht Ouvéa et du couple « Turenge ».
Sa mission terminée, elle prit l'avion pour Tahiti où, lors du colloque sur les récifs coralliens à Tahiti et à Moorea, elle se fit remarquer par son ignorance sur le sujet et un comportement étrange.
L'équipe chargée de livrer les explosifs avait loué à Nouméa le yacht Ouvéa, un sloop de 12 mètres.
Elle se composait de trois militaires de carrière, l'adjudant-chef Verges (Velche), les adjudants Andriès (Audrenc) et Bartolo (Barthelo) et d'un civil, le Dr Maniguet, lequel avait organisé la « croisière » par le biais d'une agence de voyage de la rue du Ranelagh à Paris.
Dès le début, Châtelain, le directeur de Nouméa Yacht Charter, « sentait » que quelque chose ne tournait pas rond. Au moment de l'appareillage de son yacht avec les barbouzes à bord, il déclarait à son voisin : « L'Ouvéa, on ne le reverra plus ! »
Rarement un groupe de « yachtsmen » se fera autant remarquer.
D'abord, faire de la plaisance sur ces côtes venteuses de la Nouvelle-Zélande en plein hiver austral est bien étrange et du genre masochiste.
Ensuite, les braves barbouzes se trompèrent de baie en faisant leur entrée en Nouvelle-Zélande, risquant leur voilier et se mettant en exergue vis-à-vis des services d'immigration néo-zélandais.
Bien qu'on doive admirer leurs talents de marins dans ces moments difficiles, on ne peut que s'étonner de leur comportement si peu discret par la suite.
En effet, une fois passé les formalités avec la police du port, nos agents très secrets devinrent exubérants et flambeurs et se mirent à draguer tout ce qui portait une jupe dans les bars, cafés et restaurants des différents petits ports du North Island.
Parmi l'une de leurs conquêtes figurait même l'épouse d'un officier de police du port de Whangarei, une dame coiffeuse.
Certainement le plus formidable consommateur de dames kiwi fut le Dr Xavier Maniguet, agent civil « freelance » de la mission. Selon un journaliste australien, les enquêteurs découvrirent qu'il réussit à coucher avec huit femmes différentes en l'espace de sept jours.
Flambant sans compter, le capitaine de l'Ouvéa louait les plus luxueuses voitures, logeait dans les meilleurs hôtels pour chasser la gent féminine, sa grande passion.
Il manque d'ailleurs de se faire « flinguer » sur l'île du Sud lorsqu'il séduisit l'épouse d'un chasseur d'opossum ; il dut s'enfuir par la fenêtre après que le mari fut rentré à l'improviste, lequel tira des coups de feu sur le séducteur en fuite.
Coureur de jupons incorrigible, il trouve à l'hôtel Sheraton d'Auckland une compagne moins d'une heure après son arrivée.
Une autre dame, conquise dans un bar, fut si excitée qu'elle emmena Maniguet à l'hôtel Regent et paya même la note de la chambre.
Le lendemain, la cousine de celle-ci accepta à son tour de subir avec plaisir les mêmes honneurs par le docteur français.
Si la réputation mondiale de la DGSE prit un sévère coup dans cette affaire, par contre depuis, chez les Kiwis, la réputation du « French lover » vit sa cote grimper à travers les frasques du « French Bomber ».
Comme les agents français ne passent pas inaperçus – c'est le moins que l'on puisse dire – leurs traces furent par la suite faciles à remonter pour les enquêteurs, tant elles étaient larges et leurs comportements voyants gravés dans les mémoires.
Dans un restaurant de Whangarei, l'équipe signa même le livre d'or de l'établissement, Raymond Velche avec un croquis de plongeur et un cryptique « Peut-être y a-t-il autre chose en N.-Z. »
Mais les agents les plus lamentables de cette équipe ont certainement été les « Turenge », le commandant Alain Mafart (alias Alain Turenge) et le capitaine Dominique Prieur (alias Sophie Turenge).
Supposé être en lune de miel, le couple se fera remarquer partout car Mme Turenge « faisait toujours la gueule » et parce que leur comportement entre eux étant glacial, tout comme envers les autres, une attitude très peu en phase avec leur rôle de nouveaux mariés.
Dès le départ, les deux espions étaient déjà handicapés par une grossière erreur dans la préparation de leurs faux passeports suisses : bien que supposés être « délivrés » à des années différentes, les numéros des deux passeports se suivaient presque, 3024838 et 3024840, mais ce ne fut qu'une erreur mineure face aux autres bourdes.
L'armée (dont fait partie la DGSE) était une administration de fonctionnaires régie par des fonctionnaires.
Un monde de carrières où seul le diplôme prime, car seule preuve de capacité acceptée par les textes administratifs.
Le capitaine Prieur fut donc choisie pour son agrégation d'anglais.
Le fait qu'elle parlait à peine la langue (elle dut même mettre des écouteurs lors du procès afin d'écouter le traducteur pour comprendre les débats !) n'avait donc aucune importance puisqu'elle avait le diplôme requis.
Un Français ayant grandi et vécu en Nouvelle-Zélande, qui parlerait donc comme les Kiwis et se fonderait ainsi dans la population comme un autochtone car intime avec leurs us et mœurs, ne pourrait pas être choisi pour cette mission par un tel système car il n'aurait pas les diplômes français exigés par l'administration !
La DGSE était donc piégée par son propre « carcan régulatoire ». La connaissance acquise par la vie et le hasard, par l'ordinaire et l'exceptionnel n'y ont pas de place puisque ces connaissances et atouts indispensables pour un travail discret à l'étranger ne peuvent s'exprimer par un quelconque diplôme français, seules valeurs reconnues par l'armée.
Parmi les participants à la mission « Oxygène » seuls Mafart (qui parle avec un accent américain), Maniguet et certainement Cabon, bien qu'elle prétendait le contraire, parlent un anglais correct acquis après des années de vie à l'étranger. Pour les autres, leur anglais donnait à rire s'il n'était carrément incompréhensible.
Pis encore, les petits ronds-de-cuir du service comptabilité de la DGSE ne semblaient alors ne pas faire confiance aux agents secrets qu'ils expédiaient à l'autre bout du monde.
Incroyable mais vrai, pour justifier leurs frais, les James Bond et autre Mata Hari de la « Piscine » devaient rapporter de leurs missions factures, reçus et autres justificatifs des dépenses.
Même les plongeurs de l'Ouvéa exigeaient partout des reçus pour leurs achats, acte bien incohérent avec leur rôle de plaisanciers supposés être en vacances.
Cette mesquine et minable paperasse fut ce qui confondit de suite les « Turenge » : lors de leur première arrestation, la police néo-zélandaise retrouvant dans le camping-car loué par le couple un paquet de reçus détaillant toutes leurs dépenses effectuées en Nouvelle-Zélande.
Avec les dates et localités de ces talons, les enquêteurs purent ainsi reconstituer en moins d'une heure deux semaines d'itinéraires, donc toutes les étapes des « Turenge », même apprendre les numéros de téléphone appelés depuis les hôtels… dont celui de la DGSE !
C'est ce qui leur permit de vite remonter la filière et faire la connexion avec la DGSE et « l'Ouvéa », et nullement par une hypothétique trahison ou grâce à l'aide des services secrets anglais comme on a par la suite tenté de le faire croire.
Pis encore, les « époux Turenge » étaient aussi des agents « grappilleurs » et mesquins. La police découvrit avec amusement que certaines des factures avaient été falsifiées : un zéro rajouté à une note d'hôtel de 35 dollars devenait 350 dollars ; chaque petit profit était recherché pour nos minables OSS ! Ce n'est donc pas uniquement la bureaucratie tatillonne qui aura trahi Mafart et Prieur, mais surtout l'avarice et la bêtise.
Leur parcours ressemble d'ailleurs à une vraie comédie digne des films de Laurel et Hardy. Leur comportement était tellement bizarre qu'ils se firent remarquer à tous les moments cruciaux de leur mission, à tel point que le numéro de la plaque d'immatriculation de leur caravane fut constamment relevé par des témoins.
La reconnaissance du terrain était tellement bâclée que des rendez-vous furent ratés.
À cause de cette mauvaise préparation, même le plongeur plastiqueur du « Rainbow-Warrior » dut faire un détour, se débarrasser de son hors-bord et ainsi se faire repérer.
Après l'attentat contre le Rainbow-Warrior, alors que tous les autres agents de la DGSE avaient réussi à quitter la Nouvelle-Zélande sans être pris, les « Turenge » eurent le comportement le plus incroyable et impardonnable : au lieu d'abandonner leur caravane sur le parking de l'aéroport et quitter immédiatement le pays par le prochain vol, ces espions de haut-vol se présentèrent au bureau de la compagnie de location de leur véhicule pour récupérer un trop perçu de… 130 dollars NZ (80 euros !!!).
Comme des témoins avaient déjà donné le numéro d'immatriculation du camping-car à la police en effervescence depuis l'explosion, l'agence de location avait été avisée de la recherche des « Turenge » depuis la veille.
Voyant les « Turenge » arriver, la jeune fille de l'agence réussit à appeler la police et faire patienter les espions, en prétextant que le directeur arrivait pour leur rendre les 130 dollars, pendant les 20 minutes nécessaires aux forces de police pour arriver et coffrer le couple.
C'est bien cette tentative mesquine de récupérer 80 euros qui permit la capture des « Turenge » et qui coûta par la suite à la France des dizaines de millions d'euros, ainsi qu'une atteinte terrible à son image.
Lors des interrogatoires, Dominique Prieur s'effondre et se met à pleurer. Le couple ne se rendit même pas compte qu'à un moment on avait introduit dans la cellule de détention un « mouton », à savoir un policier comprenant le français. Il put entendre des brides de leur conversation :
Mafart à Prieur : « Sois comme une montagne ! Ne bouge pas d'un pouce ! »
Prieur à Mafart : « Si on nous envoie en prison, est-ce qu'ils paieront toujours nos salaires et pensions à Paris ? ».
On voit quelles étaient les préoccupations patriotiques des « James Bond » du service !
La Nouvelle-Zélande est un État de droit.
Comme la police n'a toujours pas d'évidence solide – et qu'elle n'a surtout pas de réponse de Suisse quant à l'authenticité des passeports (c'était le week-end) – elle dut relâcher les « Turenge » au bout de 24 heures et les dirigea vers un motel d'où ils avaient une totale liberté de circuler.
Cette fois-ci encore, au lieu de disparaître dans la nature, ils restèrent plus de 36 heures dans leur chambre d'hôtel d'où ils appelèrent la DGSE à Paris (!), Alain Mafart partant uniquement d’acheter de nouveaux billets d'avion dans une agence de voyage et prenant contact avec un avocat.
Puis le télex d'Interpol arrive de Berne.
Incroyable : les passeports étaient des vulgaires faux, même pas des « vrais-faux ».
La police retourne à l'hôtel cueillir les « Turenge » pour les écrouer.
Le lendemain 16 juillet, le tribunal inculpe les deux espions et décréte qu'ils seraient libres en échange d'une caution de 2.000 dollars (1.200 €) chacun. Ils n'avaient pas l'argent et sur intervention de leur avocat, le tribunal revint sur la décision de cautionnement.
Incroyable mais vrai, ils se retrouvent libres une seconde fois, normalement jusqu'au procès prévu le 27 juillet.
Mais la police locale, consternée par la décision de justice, décide de vite trouver un nouveau chef d'inculpation : importation en Nouvelle-Zélande d'objets acquis par des moyens frauduleux (les faux passeports).
Là encore, entre-temps les Turenge ne profitent pas de l'occasion pour s'échapper et leur troisième arrestation, pour de bon, a lieu tard dans la soirée dans les bureaux de leur avocat à Auckland.
Deux fois libérés, les agents secrets n'ont pas une seule fois tenté de s'enfuir, de quitter le pays par une autre voie que l'avion régulier.
Aucun plan alternatif n'avait été prévu, aucune « maison sûre » n'avait été préparée, aucun réseau de secours n'avait été organisé.
Rien !
De l'amateurisme de A à Z.
Le président « Mythe-errant » ne s'y trompa pas et déclara : « Deux agents qui sont pris et qui téléphonent au ministre de la Défense. Des espions qui signent un livre d'or. Quels crasseux ! » (Attali, in « Verbatim ».)
Le lundi 4 novembre 1985, le colonel Alain Mafart et le capitaine Dominique Prieur comparurent devant la cour d'Auckland pour les premières auditions après avoir plaidé non coupable aux accusations d'incendie criminel, de complot en vue d'incendie, et meurtre.
Récemment restauré, le vieux bâtiment de la Haute Court d'Auckland a été choisi pour le procès.
Face à une assemblée de journalistes venus du monde entier, Mafart et Prieur modifièrent subitement leur façon de plaider.
Stupéfaits, l'assistance les écouta finalement plaider coupable d'incendie criminel et d'homicide involontaire.
Le procès du siècle, que l'on croyait devoir durer des mois et coûter des milliers de dollars, était terminé en une demi-heure.
L'avocat général expliqua au président de la Cour que l'accusation était prête à accepter une condamnation pour homicide involontaire, étant donné qu'il n'était pas prouvé que Mafart et Prieur étaient personnellement responsable de la pose des bombes, ni qu'ils avaient volontairement voulu blesser ou tuer.
Le 22 novembre, Mafart et Prieur comparurent à nouveau devant la haute Cour d'Auckland et furent condamnés à 10 ans de prison pour homicide involontaire et 7 ans pour incendie criminel.
En rendant son verdict, le juge Davison donna clairement son avis sur la possibilité d'une expulsion rapide : « Ceux qui viennent dans ce pays et commettent des activités terroristes ne peuvent espérer avoir de petites vacances et retourner chez eux en héros ». Pourtant, tel sera le cas…
En mars 2001, le quotidien « New-Zealand Herald » révéle qu'en 1985 le ministre des Affaires étrangères Roland « Du-Mât » et un député français avaient tenté de faire parvenir une caisse de vins fins de Bordeaux et une bouteille du meilleur cognac aux prisonniers Alain Mafart et Dominique Prieur, quelques semaines après leur emprisonnement.
Une mini bataille diplomatique avait éclaté à ce sujet, les fonctionnaires des prisons de Nouvelle-Zélande ayant refusé de faire suivre les cadeaux de Noël envoyés de Paris.
Le Ministre protesta en janvier 1986 par la voie de l'ambassade de la Nouvelle-Zélande à Paris et reçut une réponse laconique l'informant que l'on ne donnerait pas de traitement spécial au couple prisonnier : « Les boissons alcoolisées sont strictement prohibées dans des prisons de la Nouvelle-Zélande (...) nos autorités ne peuvent se permettre de faire une exception dans une question qui est si sensible en Nouvelle-Zélande ».
L'incident fut révélé par des documents du ministère de la Justice kiwi, « déclassifiés » après 15 ans, conformément à l'Acte officiel d'information de N-Z.
Pour libérer les « Turenge », le gouvernement « gaulois » négocia par trois fois. En échange de la promesse de les garder trois ans en résidence surveillée à Hao, la « Gauloisie nucléaire » accepta de :
- faire des excuses formelles et non qualifiées pour l'attaque contre le Rainbow-Warrior dans le port d'Auckland en 1985 ;
- payer à la Nouvelle-Zélande la somme de 7 millions de dollars US en compensation des dommages subits ;
- ne pas s'opposer à l'importation de beurre néo-zélandais vers le Royaume Uni en 1987 et 1988 ;
- verser 2 millions de dollars US à la famille du photographe tué dans l'explosion ;
- payer 9 millions de dollars US au Fonds d'amitié avec la Nouvelle-Zélande ;
- payer 6 millions de dollars à Greenpeace.
- ne pas s'opposer aux accords entre la Nouvelle-Zélande et la CEE concernant l'importation de viande de mouton, d'agneau et de cabris.
En plus le gouvernement de Paris accepta, sans faire de difficulté, de payer à la société Nouméa Yacht Charter 105.000 euros pour le voilier Ouvéa sabordé en mer.
Les bourdes et comportements de Mafart et Prieur ne méritaient pas de récompenses.
Pourtant les « guignols » des services secrets de cette affaire sortirent plutôt très bien lotis de ce fiasco. Touchant leurs soldes indexées (barème de l'ambassade de France) pendant leur emprisonnement en Nouvelle-Zélande, dès leur transfert sur la base militaire de l'atoll d’Hao, Mafart et Prieur verront celles-ci multipliées par 2,05 (comme tous les militaires en poste sur les « sites » dans l'archipel des Tuamotu), salaires exonérés d'IRPP auxquels se rajoutent les multiples primes octroyées à ces postes.
Le sort du voilier Ouvéa et la manière dont l'équipage est rentré en « Gauloisie reconnaissante » sont longtemps restés un mystère. Quelques désinformations ou inventions avançaient cette théorie de la fin de l'Ouvéa : « La DGSE n'avait aucun moyen de prévenir l'équipage de l'Ouvéa – chargé de convoyer les explosifs jusqu'en Nouvelle-Zélande – pour les empêcher de revenir en Nouvelle-Calédonie. Le bateau n'avait pas de radio protégée à bord. Un Breguet-Atlantique les aurait repérés et un ancien du service prêta son yacht afin de recueillir l'équipage après le sabordage du bateau ».
Une dépêche de l'AFP du 26/11/91, non signée, avançait que le 23 juillet, « l'Ouvéa » arrivait à Papeete, d'où les agents prirent l'avion pour Paris par l'une des liaisons hebdomadaires du COTAM (vol militaire en DC-8).
Tout à fait impossible car « l'Ouvéa » avait quitté l'île de Norfolk le 15 juillet et aurait ainsi dû voguer contre les alizés et parcourir 5.000 kilomètres en huit jours, parfaitement impossible pour n'importe quel voilier !
En revanche, la date du 23 juillet de l'AFP se combine parfaitement avec une autre théorie diffusée par les médias anglo-saxons, mais aussi par l'organisation Greenpeace : le sous-marin d'attaque nucléaire Rubis, en « visite de présence » dans le Pacifique Sud (cas unique pour un sous-marin nucléaire français !) fit escale à Nouméa pour y déposer le ministre « Aire-nue » à bord.
Le Rubis quitta la Nouvelle-Calédonie le 5 juillet, attendit au large de l'île Norfolk. Le 16, il se dirigea vers une balise radio émettrice déclenchée par l'Ouvéa (truffé d'antennes) au nord de l'île de Norfolk, fit monter à bord les membres de l'équipage qui sabordèrent le voilier en ouvrant les vannes, puis prit la route directe vers Tahiti où il arriva le 22 juillet.
Après son arrivée fortement médiatisée à Papeete, le capitaine du Rubis fit des déclarations étonnantes face à la presse et aux caméras de RFO (alors FR 3) télévision (nous citons de mémoire) : « Oui, nous faisons un voyage de présence dans le Pacifique… mais aussi quelques autres missions. »
Reporter de FR 3 : « Quel genre de mission ? »
Capitaine du Rubis : « Des missions secrètes... très secrètes ! » (Rires).
Le lendemain, comme annoncé par l'AFP, l'équipage de l'Ouvéa prenait l'avion de Tahiti vers Paris.
Après avoir passé moins d'un an dans les geôles néo-zélandaises, Dominique Prieur et Alain Mafart, arrivèrent le 22 juillet 1986 sur leur lieu français de détention, l'atoll de Hao.
Le mercredi 23 juillet à 2h30 (heure locale), un avion P3 Orion « turboprop » de la Royal New-Zealand Air Force (RNZAF) décolle de Wellington en direction du territoire français de Wallis avec à son bord Mafart et Prieur.
De son côté, le 22 juillet (heure de Tahiti, un jour en retard sur Wallis et Auckland, ligne de changement de date oblige), un jet Gardian, version militaire du Falcon Dassault, de l'escadrille 12S décolle dans la nuit de l'aéroport de Tahiti Faa'a pour une destination « inconnue ».
En fait, l'appareil, avec à son bord Gaston Flosse alors sous-secrétaire d'État au Pacifique Sud, faisait aussi route vers Wallis où il se posa vers 9 heures du matin, une heure avant l'arrivée de l'appareil de la RNZAF.
Les faux époux Turenge furent accueillis à l'aéroport de Hihifo par Gaston Flosse (qui menait là une mission demandée par le « Chi » Premier ministre de cohabitation d’alors), mais aussi par le préfet Clauzel, directeur de cabinet du ministre de la Défense.
Les poignées de mains et les embrassades furent filmées par un cameraman amateur qui fut immédiatement arrêté par les gendarmes de Wallis qui lui saisirent son matériel.
Alors que l'avion kiwi décollait vers son pays, le Gardian, terminait ses pleins et quittait Wallis pour un vol sans escale jusqu'à l'atoll de Hao.
L'on apprendra que le vol s'est effectué sans problèmes et que l'ambiance à bord du Gardian était des plus détendue.
« Prieur et Mafart n'étaient pas particulièrement affectés, mais visiblement heureux de quitter la Nouvelle-Zélande » confia l'un des participants à ce vol mémorable.
Vers 14 heures, alors que le Gardian passait à 8.000 mètres à la verticale de Tahiti, le champagne coulait à flot dans la cabine.
Vers 16 heures l'appareil se posait sur la piste de Hao où Mafart et Prieur étaient accueillis par le lieutenant-colonel Belli, commandant de la base.
Après une prise de carburant, le Gardian de la 12S quittait Hao pour Tahiti avec à son bord Gaston Flosse.
L'arrivée des deux agents à Hao suscita, comme on s'en doute, un vif intérêt des journalistes et surtout des photographes qui espéraient prendre des clichés des deux « détenus » de Hao.
L'armée, scrupuleuse du secret, mit en place un dispositif impressionnant destiné à protéger Alain Mafart et Dominique Prieur.
Les photos furent interdites sur le site militaire et même les appelés durent laisser leurs appareils photos sagement dans leur housse.
Par ailleurs la population civile fit, elle aussi, l'objet de contrôles, plus discrets toutefois mais tout aussi efficaces de la part des services de la sécurité militaire et tous les vols d'Air Tahiti pour Hao furent sévèrement contrôlés pour éviter l'intrusion sur le site de journalistes ou de curieux. Il est vrai que les photos des deux agents se seraient alors négociées une petite fortune.
Le secrétaire général de l'ONU par lequel l'accord entre la France et la Nouvelle-Zélande était intervenu, avait demandé et obtenu du gouvernement l'engagement qu'aucune publicité, interview ou commentaire ne serait fait autour de la vie des faux époux Turenge.
Ainsi, Hao avait soudain supplanté Moruroa en devenant le nouvel « atoll du grand secret ». Seul appareil photo habilité sur le site, celui du photographe de l'armée qui, un an après l'arrivée des deux agents, effectua des prises de vues d'une cérémonie de passation de commandement.
Ces clichés – sur lesquels apparaissait Dominique Prieur – trompèrent la vigilance des autorités militaires et furent remis aux quotidiens de Papeete afin d'illustrer cette manifestation.
Quoi qu'il en soit, la vie s'écoulait paisiblement sur l'atoll où le commandant Mafart partait faire de grandes virées en planche à voile, passant même quelques fois la nuit sur un des motu du lagon.
Soleil, cocotiers et lagon valaient assurément bien mieux que les geôles néo-zélandaises. Alain Mafart fut aussitôt promu « adjoint-terre » et Dominique Prieur « officier adjoint au commandant de la base ».
Le mari de Dominique Prieur, alors capitaine du génie commandant les sapeurs-pompiers de la caserne de la rue du Vieux Colombier à Paris, fut muté à Hao en étant promu commandant de la base.
En avril 1996, on apprenait que c'est le « Chi » en personne qui avait suggéré en 1986 à Dominique Prieur de tomber enceinte afin de pouvoir quitter l'atoll de Hao. S
elon Le Canard Enchaîné, elle resta néanmoins désespérément infertile malgré la présence sur l'île de son époux et plusieurs célèbres gynécologues de Paris durent alors faire le déplacement vers l'atoll auprès de Mme Prieur.
Mafart mit à profit son séjour pour préparer l'École de Guerre. Quant à Dominique Prieur, elle n'avait pas à se plaindre non plus de son séjour sur l'atoll, puisque outre son (léger) travail et ses loisirs, elle partait assez fréquemment et dans la discrétion la plus absolue à Tahiti, en infraction patente avec l'engagement fait par son pays devant l'ONU. Le cérémonial de ces voyages était immuable : Dominique Prieur était transportée depuis Hao (en Gardian la plupart du temps) et à son arrivée à Tahiti-Faa'a l'attendait une voiture avec chauffeur. Perruque vissée sur la tête, lunettes noires sur le nez, elle s'engouffrait dans la voiture puis prenait ses quartiers au « Iaorana Villa », l'hôtel militaire pour gradés de Punaauia. Ses sorties en ville étaient étroitement surveillées par les agents de la sécurité militaire, mais aucun incident n'a jamais émaillé ces escapades. Une seule fois, dans un magasin de vêtements du centre Vaima, elle fut reconnue, ce qui lui fit quitter prestement la boutique avant l'arrivée de la presse locale. Le soir même elle regagnait Hao...
Aucun des deux agents ne termina ses trois années de séjour à Hao, comme promis par la patrie reconnaissante.
Le 11 décembre 1987, un certain Serge Quillan, menuisier de profession, embarquait à Tahiti à bord du vol UTA UT 508 en direction de Paris.
M. Quillian, en réalité Alain Mafart, quittait la Polynésie au grand dam des Néo-Zélandais avec un autre vrai-faux passeport, après un séjour de 17 mois seulement sur l'atoll.
Des raisons de santé étaient alors invoquées pour justifier son « rapatriement sanitaire » mais elles s'avérèrent fausses et la « Gauloisie d’honneur sur parole » fut encore condamnée.
En mai 1988, Dominique Prieur, enfin enceinte, partit à son tour vers Paris, par avion spécial dans un grand tamtam médiatique, juste à la veille des élections présidentielles, ultime mais vain effort pour promouvoir le candidat du « Chi ».
Elle est restée en tout 22 mois sur l'atoll, et pas toujours, puisqu'elle fut plusieurs fois aperçue en train de faire son "shopping" à Tahiti.
À l'hôtel militaire « Iaorana Villa » de Tahiti, réservé aux gradés, on donna même discrètement le sobriquet de « suite Prieur » au bungalow que cette dame utilisait.
Le non respect de la parole donnée par les autorités eut, là encore, un certain effet médiatique en Nouvelle-Zélande.
Le Rainbow-Warrior fut renfloué le 21 août 1985. Après expertise, Greenpeace dut se résoudre à saborder le navire, les dégâts étant trop importants pour être réparés. Il fut coulé dans la baie de Matauri Bay, au nord d'Auckland, où un mémorial fut érigé.
C'est dorénavant une destination touristique prisée de Nouvelle-Zélande.
Le capitaine Prieur fut par la suite « planquée » au service statistique du ministère de la Défense à Paris et le colonel Mafart entra à l'École de Guerre.
En 1989, le commandant Mafart fut promu lieutenant-colonel, mais aussi chevalier dans l'ordre national du Mérite en mai 1991, puis promu colonel en 1994.
En juillet 1993, le colonel Louis-Pierre Dillais, commandant de l'opération « Satanic – Oxygène », fut nommé chef du bureau des affaires dites « réservées » au ministère de la Défense.
L'affaire du Rainbow-Warrior resurgit brièvement dans l'actualité en novembre 1991 lors de l'arrestation par la police helvétique de Gérald Andriès, l'un des nageurs de combat de l'Ouvéa. Lors de la conclusion des accords de compensation, le gouvernement français avait tout simplement oublié d'exiger de la Nouvelle-Zélande la levée des mandats d'arrêts internationaux.
Le 18 avril 1995, lors de l'émission « Foreign Correspondant » diffusée sur la chaîne nationale australienne ABC, le directeur du contre-espionnage français (la DST) de l'époque, Yves Bonnet, interviewé par Justin Murphy, précisait que l'ordre de la mission contre le Rainbow-Warrior avait été donné par le président « Mythe-errant » en personne...
Quant au docteur Maniguet, dans sa retraite du pays de Caux, au cœur de la vallée de Saâne, il goûte ses quelques instants de répit au bord de ses étangs où croisent de nombreuses nichées de canards. Un havre de paix qu’il a entièrement façonné depuis trente-cinq ans sur ses terres natales.
Un répit, pause de quelques jours avant de reprendre ses bagages et de voyager à travers le monde car, confie-t-il, « j’ai la bougeotte, c’est plus fort que moi, je ne peux pas rester longtemps en place ».
Et puis le calme avant une probable tempête médiatico-politique qui devrait accompagner la sortie de son ouvrage « French Bomber ». Enfin la vérité sur le Ie Rainbow Warrior.
Médecin de formation, « mais ça n’a jamais été franchement ma passion », colonel de réserve, baroudeur, spécialiste des requins, instructeur de pilotage et de voltige aérienne, moniteur de plongée, parachutiste, Xavier Maniguet touche un peu à tout, pourvu que cela roule, vole ou flotte. La médecine lui a surtout ouvert des portes, « celles du monde entier ». Une opportunité de voyages qui lui fait connaître le monde du renseignement et des agents secrets.
Un univers qu’il fréquente avec assiduité et sens patriotique développé, « comme un bon petit soldat, jusqu’au bout » évoque-t-il à de multiples reprises dans son ouvrage.
Un beau jour de 1985, on lui confie une mission, de ces missions des plus ordinaires au cours de laquelle il va pouvoir s’adonner à l’une de ses passions, le nautisme. Sous son vrai nom – alors que tous ses coéquipiers utilisent des pseudos – il va louer un voilier en Nouvelle-Calédonie, l’Ouvéa. Un voilier à bord duquel il va voyager avec trois plongeurs.
La mission secrète devient une affaire planétaire. L’onde de choc est titanesque. Et Xavier Maniguet très vite sous les feux de l’actualité. En Australie tout d’abord où la police le recherche rapidement. Interrogé, il ne craque pas, ne lâche rien. De retour au pays, il ne « mouille » personne malgré les interrogatoires qui se succèdent et de soudaines fuites dans la presse.
Xavier Maniguet dénonce un véritable lynchage dont il dit avoir été victime, s’appuyant en cela sur une multitude d’indices qui, à ses yeux, prouvent des implications au plus haut niveau de l’État, « dès le début des soupçons des Kiwis (Les Australiens) certains ont donné le feu vert pour que l’on me mouille sans scrupule, comme un vulgaire malfrat… »
Pas préparé à cela, il voit déferler chez lui tous les médias nationaux, « une vraie chasse à l’homme. Ma surprise n’est pas de voir l’affaire éclater mais de constater que j’en suis quasiment l’unique et seul objet ». Durant de nombreuses semaines les « révélations » se succèdent dans la presse hexagonale, un grand quotidien du soir donnant le La. Xavier Maniguet prend conscience que son existence peut être en danger : « On me considère comme une bombe à retardement, à ne surtout pas bousculer, échauffer ».
L’enquête néo-zélandaise avance alors à grands pas, « mais grâce à des informations de première qualité qui ne doivent rien à des talents de Sherlock Holmes… ». C’est son point de vue.
Les services néo-zélandais disposent en effet soudainement d’informations de première main des renseignements généreux, qui vont « jusqu’à des numéros secrets de la DGSE ! »
Effectivement…
Écœuré, Xavier Maniguet parle d’une « incroyable trahison que rien ne justifiera jamais. Plus de vingt ans après les faits on attend toujours une explication inavouable ».
Trahison également à ses yeux que la révélation des véritables identités des faux époux « Turenge »
Alors, pourquoi parler vingt et un ans après ? « Parce que j’ai de plus en plus honte d’être français, lâche brutalement le médecin colonel. Les Américains, les Africains, les Indiens… rigolent de nous. Que dire lorsque l’on voit le Clémenceau, quasiment arrivé à destination, faire demi-tour ? Il a été accompagné plusieurs semaines par une frégate avec trois cents hommes à bord ! C’est ridicule et nous sommes grotesques ! »
Dégoûté tout autant par « trente années de marasme politique », il a voulu, par cet ouvrage, remettre les pendules à l’heure. Ses pendules tout d’abord, car ce livre fait le pendant d’un autre qu’il a sorti en 1986, « un livre de désinformation pure pour mettre hors de cause ceux qui pouvaient encore l’être ».
Le déclic est arrivé aussi par la diffusion récente de deux reportages à la télévision « qui ne reflétaient pas du tout ce qu’était cette affaire. Toujours soumis au devoir de réserve, il garde pour lui quelques secrets d’État mais tout ce que je dis dans ce livre est vrai.
En fait, je suis un vieux con, attaché à la parole donnée, au respect de l’amitié, au souvenir de mes camarades d’action, patriote dans l’âme avec la notion de service désintéressé ».
Et aujourd’hui encore, peut-il être inquiété, voire en danger ? « Franchement, je ne le crois pas, je ne pense pas que l’on remettra le couvert même si j’avoue des choses dans le bouquin et puis, à vrai dire, je m’en moque » soupire ce « vieux briscard » qui voit aussi dans cet ouvrage sa catharsis : « Seules des valeurs surannées, comme mon sens de l’honneur ou l’obligation de réserve, me rendirent autiste sur une affaire où j’avais pourtant été traité avec légèreté ».
Xavier Maniguet n’épargne ni le monde médiatique ni celui de la politique à l’exception notable « d’Aire-nue », ministre de la Défense et donc en première ligne dans le rôle du fusible, « lui qui faisait tout pour sauvegarder ses agents sachant très bien que sa carrière politique était d’ores et déjà terminée, quoi qu’il fasse ». Il n’épargne pas davantage la « balance » de cette affaire, en l’occurrence l’un de ses coéquipiers qui a alimenté en informations précieuses presse et éditeurs.
Un brûlot qui rouvre des plaies jamais vraiment cicatrisées et dans lesquelles il remue le couteau, dégoûté de voir « que certaines personnes occupent désormais des postes de prestige dans la Vème République, en toute impunité. Aux USA, jeter des agents en pâture est un crime ».
Au final « un énorme gâchis » qui devrait faire réfléchir sur les interactions politico-médiatiques, les raisons d’État devenues raisons personnelles. Et cette affaire pour les services secrets, « une grosse épine dans un paquet de réussites flamboyantes… dans l’ombre ».