Celui-là, il n’était pas vraiment de « ma bande »…
Mais je l’aimais bien quand même. Un juriste-fiscaliste assez « pointu », enfin, ce n’est pas tout-à-fait le mot exact : Disons que lui, il faisait dans la « dentelle » et que c’était pour le moins particulièrement « carré ».
Avocat de formation que j’aurai dû croiser au BEFEC (mais comme je n’y suis pas resté assez longtemps pour être versé « junior-TVA-agricole » d’entrée de jeu…), où il a fait une bonne partie de sa carrière avancée (nous ne sommes décidément pas de la même génération) dans le « haut de bilan », je l’ai rencontré par hasard des années plus tard.
D’abord chez le « Cousin jean » (Tiberi), les soirs de victoire (et elles furent nombreuses), puis dans son cabinet fondé avec des « ex-Lefebvre », toujours dans la fiscalité du « haut de bilan » où j’ai pu retrouver mon ancien « prof de direct » en Master II (on n’appelait pas ça comme ça à l’époque : On disait 3ème cycle).
Qui se souvenait de moi encore 20 ans plus tard, celui-là, son seul étudiant à avoir eu un 17 sur une copie de 5 heures, lui que qui quand on avait eu la moyenne, on était vraiment ravi…
Moi, j’en ai eu la mention, ma seconde ! Pas mal pour un cancre, non ?
Depuis, je sais comment ça se passe pour être passé derrière la barrière, alors je… relativise.
Faut dire que ce jour-là, je lui ai avoué avoir eu comme prof, l’année d’avant, notre « pape à tous les deux », à savoir Maurice Cozian, en maîtrise (On dit « Master I », je crois, maintenant) : Ils étaient tous les deux bourguignons et se tutoyaient.
Avec Cozian, j’avais aussi eu la meilleure note de maîtrise, qui m’a valu ma première mention bien (Coefficient 8, je crois me souvenir : Ça aide !), d’autant qu’à la fac, c’était denrée rare les mentions : Le doyen veillait au niveau général !
Et lui aussi, Cozian, se souvenait de moi : On entretenait une relation épistolaire au tout début d’Internet (du temps de Compuserve et ses adresses courrielles avec que des chiffres… Toute une époque révolue !) : On n’était pas nombreux à être capables de trouver tous les pièges qu’ils mettaient dans ses exercices (depuis publiés aux annales bien faites, mais simplifiées pour ne pas dévoiler ses « petits secrets » de notation).
Bref, tout ça pour vous dire que « J-L. » je l’ai ensuite rencontré en « garden-party », lui bichant entre ses « vieilles-auto » dont il était fan, et son « harem de jeunettes » (pas moins de 40 balais : Une autre génération, je vous dis !) aux aguets, où il pavoisait en étalant parcimonieusement son immense culture et surtout ses très nombreux bons mots.
On s’apostrophait de loin, moi, mon double quintal, mon 130 de TP bonnet « B », mon 47 fillette et moi-même, lui avec son air fluet, sa tronche souriante, sa silhouette longiligne, souple sur le mollet et lui-même, on était aussi grand l’un que l’autre (dans les 185/186 cm), tel qu’aucun ne pouvait toiser l’autre, sur des questions… fiscales, naturellement !
Le lieu idoine pour causer des derniers développements jurisprudentielles ou des « grands principes », les semelles dans la gadoue, le verre à la main, la sono balançant du Jazz dans le jardin de sa grande maison (ou d’autres), parfois entourés d’autres « avocalieux » qui ne suivaient pas vraiment nos références communes.
Il avait pourtant plaidé (enfin il en causait comme si que) du seul arrêt existant dans le corpus des décisions de la Cour de Cassation (Ch. Civile) sur la valeur d’une part de société civile à capital variable, que moi j’exploite un maximum pour éviter de payer de l’ISF, des Plus-values et des droits de mutation (une autre génération je vous l’affirme !) que lui en défendait avec succès le principe de la prééminence que « pacte social » (les statuts de la société) dès lors qu’il ne contrevenait pas à une mesure d’ordre public.
Un « truc » marrant pour un « optimisateur » !
C’est dans son jardin que j’ai pris mon premier gadin aux échecs : Pas vu l’arrivée du fou !
C’était bien avant et j’étais en culotte courte, à l’époque. Je me suis rattrapé depuis et j’ai laissé tomber quand j’ai commencé à avoir du poil au menton : Trop chronophage et j’avais d’autres priorités à assumer auprès des porteuses de jupon.
Un jardin bâti sur des déblais et remblais extraits de la carrière attenante épuisée d’avoir été exploitée, tenu uniquement par un grand sapin planté au milieu.
La maison filera dans la vallée de la Marne quand le sapin mourra.
Il ne le verra pas, il est mort avant, pas tout-à-fait avant son troisième roman encore à peine ébauché[1].
Naturellement, je passais par-là, j’ai vu de la lumière, je suis rentré, des fois qu’il y ait des petits fours à becqueter.
Il n’y avait que des hosties et le vin de messe n’a même pas été partagé.
Donc je me suis tenu en arrière, un peu écœuré de la gerbe de fleur de « l’Association des docteurs en droit » lui rendant hommage : Il y avait un « S » à « droit ».
Moi, je ne savais pas…
Triste moment.
Plein de monde pour lui rendre hommage, quelques têtes connues du barreau, aucun « politique » (pourtant, pourtant…), plein d’amis, les « ceux-ce » de son club des vieilles mécaniques.
Pas tous : Y’en a qui ont du mal à se déplacer… à leurs âges avancés.
Quand « les vieux » voient partir l’un d’eux, sans savoir pourquoi, ils sont tristes.
Moi, je savais qu’il a été emporté par son « crabe » qui le bouffait de partout depuis presque un an.
Lui qui n’a jamais fumé de sa vie, et ne picolait pas plus que ça, c’est quand même dommage !
De l’inquiétude de la première « trace suspecte » à l’occasion d’une radio de routine, à la chimio qui s’attaque à toutes les métastases prises de folie…
Enfin passons : On est tous nés pour mourir un jour.
C’est ce qu’il y a dans l’intervalle qui reste important.
Si je vous en parle aujourd’hui, c’est parce que je sais que je vais oublier et que son épouse va lire ce message, forcément, un jour ou l’autre.
Elle n’allait pas bien, ni avant ni pendant ni après la cérémonie de ses obsèques : Je n’ai pas voulu lui fournir l’information sur le moment, c’est vraiment trop troublant et n’importe qui m’aurait pris pour un fou, un cinglé, un illuminé (*), je le conçois parfaitement.
C’est une chose qui m’est arrivée trois ou quatre fois dans ma petite-vie de presbytes-astigmate-myope et qui n’a rien à voir avec mes « on ».
Quoique je me demande à la longue, si ces phénomènes ne sont pas liés d’une façon ou d’une autre : Je n’en sais rien, je me demande seulement…
Et à chaque fois, j’en suis à me pincer (mentalement : je n’aime pas faire souffrir, encore moins quand il s’agit de moi).
La dernière fois, c’était ma Tata, mais ça n’avait rien de personnel : C’était adressé à son fils, mon « cousin » local.
Bref, « J-L. » est passé.
Entre la prière universelle et l’orage qui a suivi.
Et il était perdu.
Il ne comprenait pas ce qui se passait, pourquoi sa femme et ses amis étaient réunis dans l’église qui l’avait marié, autour d’un cercueil.
Et personne ne répondait à ses questions et son inquiétude.
Je crois même que c’est ce qui l’affolait le plus.
Poignant.
Si !
Même si ça n’a pas duré plus qu’une pincée de minutes.
Le ciel s’est obscurci, l’orage grondait, il n’était déjà plus là.
Je suis pourtant resté aux aguets, avec ce début de « grande tristesse » : Nous n’étions pas assez intimes pour qu’il m’identifie dans les rangées de chaises.
Le soleil est revenu, mais pas lui.
Salut « J-L. » !
Tes amis sont tous venus te rendre hommage : Tu ne l’as pas compris, mais je peux en témoigner.
(*) Naturellement, pas de commentaires, surtout « oiseux », sur ce post à vocation unique.
Merci de votre compréhension à tous : Il fallait que ce soit fait, c’est tout.
Et allez rendre l’hommage du souvenir à vos défunts : C’est le jour annuel.
En vous rappelant bien qu’ils ne vivent désormais sur cette planète que parce que vous les portez encore au cœur.