Celui où on ne chôme pas !
Et pour cause. Pour arriver le premier, faut se lever tôt. Et là, je loupe mon « entrée ». La petite minette habillée en juste-au-corps en Licra qui fait accessoirement « leçon d’anatomie ambulante » avec sa tronche d’ivrogne, elle est déjà à poste pour la mise en chauffe du four à séchage.
Depuis 5 h 30.
Perso, j’arrive juste avant l’équipe de femmes de ménage, qui se pointe vers 6 heures : Deux heures de boulot pour balayer et vider les corbeilles.
Elles sont une dizaine qui te m’allume la « boutique » de tous ses feux, même quand elles ne sont pas dans la pièce : On a beau être pas loin d’une centrale nucléaire, l’électricité au tarif rouge, ça doit dépoter un maximum le compteur. Mais comme je ne sais pas où il est, je n’ose pas le chercher. Et puis ça pourrait me gâcher la matinée que de voir le « truc » qui tourne plus vite qu’un électron autour de son noyau…
Bref, j’en profite pour faire un « grand tour » du propriétaire, note que le stock de grumes dans la cour à camion est sensiblement réduit à presque rien, que décidément, faudra au moins remettre un peu de goudron par-ci par-là en extérieur et sans doute fermer l’usine à un moment ou à un autre pour refaire la couverture de la dalle intérieure.
Les suivants sont les « jardiniers » : Bé oui, y’a quelques buissons à arroser à la fraîche même hivernale, en devanture sur la départementale, pour faire joli, imagine-je, et un carré de pelouse à asperger en pompant dans la rivière voisine (celle qui se jette dans la Seine par en-dessous du petit pont attenant).
Ils sont deux en camion. « Et vous venez tous les jours ? »
Bé oui, quelle question !
Curieux.
Ils repartent à peu près au même moment que les femmes de ménage venues dans deux camionnettes et qui retournent à leurs labeurs quotidiens dans leurs habitats et quartiers faire la tournée des poubelles des villages voisins, ou des ménages ailleurs, je ne sais pas, chacune dans une direction opposée.
Repart la « leçon d’anatomie sur patte » qui va chercher le courrier à la poste (la « boutique » a un Cedex local) après avoir achevé la sauvegarde informatique.
Ce qui n’empêchera pas une camionnette jaune de déposer un paquet de courriers sur le comptoir de l’accueil.
Tu penses, que je le dépiaute avant l’arrivée de « Miss bonbon » qui ne prend son service que passé 8 h 15 (*).
(Je mets un astérisque, parce que le jour même, je m’interroge sur un chèque que je me rappelle avoir vu au matin et qui n’apparaît ni le soir ni le lendemain dans la copie de la remise de banque : Il révèlera une source de « coulage » assez classique dont j’ai d’abord rendu « miss pigeonnante » responsable mais qui est le fait d’une de ses collaboratrices).
Arrive aussi entre-temps les gars de la première équipe précédée de peu par un semi bourré de troncs d’arbres qui fait le tour pour décharger par derrière.
Je suis la manœuvre du coin de l’œil.
Il lâche son plateau devant la porte encore close, va mettre en remorque un plateau vide et repart aussitôt (*).
(Je mets un astérisque, parce que le jour même ou un autre jour, je m’interroge sur un va-et-vient d’un plateau qui repart sous ma fenêtre que partiellement déchargé… On m’expliquera, mais plus tard, qu’il s’agit d’approvisionner la scierie du coin pour qu’elle nous livre des tasseaux. Mais en refaisant une comptabilité matière sur plusieurs semaines, globalement, le gars se gardait un arbre sur 4 à chaque échange ! Et en plus, on le payait rubis sur l’ongle et au cul du camion, le fumier.)
La première équipe met en marche l’arracheuse d’écorce et commence à charger la machine par la porte de derrière, pendant que les autres s’affairent autour des « troncs-déroulés » à charger le four.
Je salue, serre des mains ou des poignets, d’autres (la deuxième équipe) sortent du vestiaire situé au rez-de-chaussée, pendant que d’autres arrivent en voiture ou mobylette.
Ceux-là vont traiter les planches sorties hier soir du four qu’ils avaient mis à refroidir.
D’autres camions arrivent, alimentant le four jusque vers 9 heures.
Le reste sera stocké dans la cour pour la deuxième « cuisson » qui commencera en début d’après-midi.
Parce que s’il faut à peine une minute pour « dérouler » un arbre, il faut bien une heure pour charger le four, deux heures de séchage à bonne température, qu’on m’explique qu’il faut en contrôler la température en fonction de l’humidité résiduelle des grumes au fil de la « cuisson ». Trop chaud ou trop longtemps, ça craquelle les plaques, pas assez chaud ou pas assez longtemps et ce sont les colles qui ne prennent pas ou forme des bulles.
Et une bonne heure pour décharger le four, plaque à plaque, posées sur des tasseaux une à une afin qu’elles refroidissent assez pour être traitées, nous y reviendrons.
Là encore, je m’interroge : Un arbre déroulé, ça fait autour de 180 mètres de long.
Eux les coupent direct en 4 tronçons d’un peu plus de 3 mètres de large (mais on m’expliquera que les côtes peuvent changer et aller jusqu’à 2 fois 5 mètres : Qu’est-ce qu’on fait des « chutes » ? C’est broyé pour faire de l’aggloméré…), dès après le « déroulage ».
On a donc 4 plaques qui passent ensuite à travers l’équarisseur, une vaste lame de plus de 14 mètres de long qui cisaille avec des grands « clac-clac-clac » tous les 1,25 m. 140 à 150 fois dans la minute, le tout est coordonné mécaniquement avec le déroulage de l’arbre qui passe entre deux rouleaux d’entrainement.
Le vacarme…
Le tout s’empile sur une série de tables à roulettes qui s’affaisse sous le poids du bois et il faut suspendre sans arrêter la machine, l’écorçage du fût suivant, le temps d’enfiler toutes ces plaques sans les casser ni les tordre dans la gueule du four qui peut n’avaler que 8.640 plaques à la fois, empilé sur 7 mètres de haut (avec les brûleurs et les brasseurs d’air), 15 mètres de large et 20 de long, à raison de 150 niveaux de 3 centimètres de hauteur… pour que l’air chaud circule bien entre les plaques.
Les tables montent et descendent, manœuvrées par deux gusses qui grimpent dessus sur les passerelles escamotables et enfilent les plaques dans le four.
Et Il faut presque une heure pour tout ranger correctement !
Et autant pour les sortir, donc…
Résultat, on a un arbre traité toutes les 4 minutes et difficile de faire plus vite.
Soit 15 à l’heure…
Mais je m’étonne : On doit pouvoir faire mieux (et avec moins de chute) en rajoutant des scies et en ne coupant les planches que tous les 3 mètres.
Enfin, je ne suis pas ingénieur, il doit forcément y avoir une raison technique qui m’échappe.
En fait, les planches prennent une bonne journée de refroidissement pour être reprises dans l’atelier d’encollage. Ils pourraient faire plus vite aussi, mais c’est mieux comme ça paraît-il : Encore un calcul d’ingénieur, suis-je sûr.
L’encollage se fait avec une machine qui mélange de la flotte pompée et filtrée de la rivière voisine, avec des poudres qu’il faut préparer au fil du temps et de son étalement. Au rouleau mécanique.
Plaque à plaque et ajustée à la main, à l’horizontale.
Les plaques sont ensuite reprises pour être stockées à la verticale, les unes contre les autres après les avoir sommairement emballées avec du tissu en lin (pour ne pas les abîmer ni les encoller les unes aux autres) et passer 24 heures sous presse serrées à la manivelle.
Selon les commandes, elles sont ou non ainsi « ficelées » avec une ou deux plaques (dessous-dessus) qui sortent de la réserve qui sera réapprovisionnée par le deuxième four de l’après-midi avec la queue de production, à la couleur voulu par le client.
L’encollage semble vouloir durer 24 heures.
Et le four est éteint sur le coup de 17 heures 30, 18 heures…
Y’a de la place pour une troisième équipe de nuit, non ?
Non, pas de place pour stocker la production semi-finie.
Ce qui est vrai : C’est encombré de partout.
Les expéditions sont-elles si régulières qu’elles absorbent la production de la journée ?
Oui, mais pour être « approchée » sur les entrepôts décentralisés : Ce sont eux qui stockent, sauf commande directe par les grandes chaînes de distribution GMS (Casto, Brico, Inter, Carrouf, Lapeyre, ou les fabricants de meubles et autres cuisines, voire les chantiers…)
Les opérations de sortie de presse occupent une autre équipe qui vide les presses sur le coup des 9 heures, alors que l’équipe de déroulage a fini son très bruyant turbin et part à la pause.
Entre deux fournées, ils font effectivement la pause, nettoient leur machine, rafistolent les « couteaux », graissent les chaines qui en ont besoin, serrent les boulons et ramassent la sciure qu’ils amoncellent en vrac pour l’aggloméré (mais on ne fait pas d’aggloméré tous les jours) avant de s’occuper de décharger leur four pour remettre ça à la fournée suivante, qui fait le débit de cuisson de l’après-midi vers 13 h 30, et entasser le tout sur les tasseaux libérés par l’équipe d’encollage du matin : Vers un endroit de côté, « aéré » par des grilles et qui fait voler des particules de résidus de bois que ça te vous bouche les narines vite fait à en moucher « ocre » dès la fin de la matinée.
Curieusement, personne ne porte de masque de protection…
Pourtant, pourtant…
Une carence du CSHCT ?
Je noterai également dans un coin, que les tasseaux, d’une journée sur l’autre, leur volume peut varier de façon aléatoire.
Normalement, à la fin d’un cycle de production, il apparaîtrait logique qu’il y en ait autant de disponible qu’à l’entrée… du cycle de production.
Bé c’est vrai la plupart du temps et puis parfois pas du tout. Que je m’en suis inquiété quand j’ai vu débarqué le surlendemain un camion de menuisier venu en débarquer un paquet par le sas de départ (*)
(Je mets l’astérisque, parce que je m’interroge alors sur ces livraisons au menuisier du coin, alors qu’on sait découper du bois. Menuisier cité plus haut, qu’on paye cher et parce que les tasseaux, même si ce n’est pas indestructibles, ce n’est quand même pas si fragiles que ça. Et puis avec quelques bouts cassés et un ou deux clous, on peut leur faire faire le même office que d’un seul tenant, non ?
Je découvrirai plus tard, l’après-midi du vendredi, que le « petit personnel » se sert pour les « travaux du week-end » au black, afin d’assurer leur deuxième salaire.
Ou pour en faire des bûchettes à barbecue revendues sur les marchés…
Mais qu’il en va autant avec les sciures : C’est bon pour les caisses à chat des villes voisines, et autres animaux divers, qu’on retrouve sur les marchés des villes… voisines !).
À la sortie de l’encollage, les plaques sont sorties en début de matinée par la même équipe qui remplira les presses un peu plus tard. Elles sont remises à plat et découpées aux entournures sur une table à scies sauteuses, puis les bords polis à la meule rotative manuelle.
Elles passent une à une dans la filmeuse et sont stockées prêtes à la livraison à proximité du quai-départ. Les gars nettoient leurs outils et laissent la place propre avant de partir sur le coup des 18 h 30 eux aussi.
Sauf le vendredi : Tout le monde décampe avant 14 heures, RTT oblige.
Cette équipe-là entre aussi dans la danse sur le coup des 9 heures, sauf que l’après-midi, une partie de la « sortie de four » de la veille est d’abord « polie » à la brosse rotative automatique (comme dans une boutique de lavage d’automobiles, mais sans le shampoing), pour être traitées aux anti-fongicides et être ensuite peinte au pistolet à la peinture laquée (anticorrosion), pour la production du lendemain et les livraisons du surlendemain, avant que d’être mises au séchage pour la nuit.
Là, ils ont des masques et même des combinaisons « encapuchonnantes », de pied en cape : Ça fait plus sérieux, l’atelier peinture étant en fait protégé par deux cloisons verticales maculées de peinture de divers coloris !
Chose que je n’avais pas vue à ma première visite, pour m’être laissé attirer bêtement pas la machine à allumette qui est dans le coin opposé de l’atelier (*).
(Je remets l’astérisque, parce que là encore, grâce au contrôle de gestion et à la comptabilité matière que je fais mettre en place la première semaine, il apparaîtra que de la matière finie « surnuméraire », des kilos de poudre à coller, des dizaines de litres de peinture laquée disparaissent comme par enchantement au fil des étapes et finissent dans des résidences secondaires jusqu’à 200 km alentour.)
Enfin, un camion à la marque de la société est manœuvré derrière l’entrée du bâtiment pour enfiler les livraisons à faire dans la journée (un semi-remorque bâché : Curieux ! Et la flotte sur la route ? « C’est filmé, donc étanche aux intempéries ») : De grands plateaux verticaux de plaques de contreplaqué filmées, sur roulette, tel que les gabarits entrent tout juste dans le camion (trois mètres de haut : ça passe tout juste sous les ponts d’autoroute, à 4,2 m).
Le chauffeur part livrer un des quatre « entrepôts avancés » et déconcentrés du pays : Une journée de route aller-et-retour. Le gars espère être revenu pour poser son bahut chez lui ce soir et revenir demain matin prendre le chargement suivant (*).
(Je remets encore l’astérisque, parce qu’un jour on apprendra que lors d’une livraison vers Biarritz, donc avec une étape-hôtel au passage, y’en a un qui s’est fait piqué sa remorque pas encore livrée sur le parking, et que c’était un habitué du fait.
Attention, il faut savoir que pour les chargements lourds-longue distance, le « chef d’avant », il avait pris la précaution de faire accompagner le chauffeur-livreur par un ripeur, donc double salaire pour une seule livraison.
Bé dites donc, celui-là quand il partait tout seul pour une raison ou une autre, une fois sur trois ou quatre, il était bon pour arriver sans son bahut !)
Et il y a comme ça une dizaine de camions sur les routes qui font les livraisons ou du « déstockage » avancé.
Plus une demi-douzaine, fermés, qui font les livraisons aux points de vente des « grands comptes » ou sur les chantiers et rentrent à leur point de départ dans l’après-midi.
En revanche, j’apprendrais plus tard, que les camions des « entrepôts avancés » font deux tours dans la journée. Mais ils sont plus petits.
Bref, on touche la marchandise jusqu’à deux fois avant qu’elle n’arrive sur le lieu de vente client…
En bref, je compte dans ma tête : Une journée, complète, avec la nuit, pour « éplucher » et sécher les arbres.
Une autre journée pour façonner les plaques de contreplaqué et une troisième pour livrer.
Ça fait beaucoup de monde pour des pièces de 3 m² (1,2 m x 2,5 m) vendues au consommateur autour de 5 euros le m² pour les plus fines (5 mm, trois plis) et à 17 euros le m² pour les plus épaisses (22 mm, 10 plis).
Ce n’est évidemment pas à ce prix-là que c’est livré au revendeur !
Quand on sait qu’un fût de 14 mètres et d’environ 36 cm de diamètre pèse déjà 1,3 à 1,4 tonnes à l’entrée, qu’on lui fait perdre près de 50 % de sa masse en vapeur au cours du séchage, qu’on y taille donc 2.500 m² de pelures qui vont être empilés de 3 à 10 plis, soit une moyenne de 500 m² vendus, ça donne 168 planches, en moyenne, de contreplaqué par arbre pour une valeur marchande à la vente HT et au client final de l’ordre 1.700 euros…
Le stère de bois, ça vaut autour de 50 euros et qu’il faut deux arbres pour un mètre-cube. L’abattage, pareil, 50 euros pour avoir un fût équarri de ses branchages à peu près droits et débités au « gabarit route »(*).
(Encore un astérisque, parce qu’à un moment donné, quand je suis allé visiter une équipe de nos bûcherons à l’œuvre sur une parcelle des domaines pour notre compte, je me suis rendu compte qu’on perdait de la « matière » : Les grosses branches sont en principe revendues à des menuisiers ou des charpentiers et les plus petites mises en fagots ou servant à faire du charbon de bois.
Mais comme l’ensemble n’est pas systématiquement ramassé, on se fait voler comme au coin… d’un bois bien sûr, alors même que la cour est équipée pour ensacher ces mini-bûches ou les à transformer en charbon de bois…)
Le coût du transport, ça dépend de la distance, mais d’après les comptes, on tourne autour de 40 à 60 euros la grume dans la boutique.
J’ai donc sous les yeux une usine qui transforme 34 à 36 arbres/jour en 5.800 plaques/jour, pour 30 K€/jour après avoir acquis sa matière première à la « porte de déchargement » (y compris la colle, la peinture et les films de plastique protecteur) pour 10,6 K€/jour…
À première vue, s’il y a « fastoche » 10 à 15 % à récupérer dans l’approvisionnement, soit parce qu’on paye trop cher le bois, soit à l’abattage (*) (Nouvel astérisque, parce que j’apprendrai plus tard qu’une partie est sous-traitée à des « copains » et l’autre est le fait de notre équipe de bûcherons, ce qui renchérit mes ratios pour être déporté sur d’autres postes comptables et est une nouvelle source de « coulage »), soit à l’occasion des transports (*) (Encore un, parce que cette noria de camions baladeurs me paraît au moins aussi compliqué qu’un trafic d’aéroport international, d’autant que là aussi, deux types de chez nous font la tournée ce qui renchérit mon ratio).
Plus tard, je me rendrai compte qu’on perd aussi au moins 5 % de valorisation des « déchets et rebuts », faute de les retraiter…
Ça fait quand même entre 100 et 150 K€ de recettes perdues bêtement.
Et 10 % des coûts d’achat, ça fait 234 K€ qui plombent les résultats.
Faites les comptes, n’est-ce pas : La moitié des pertes 2010 !
À la deuxième approche il faut aussi considérer qu’avec un coefficient multiplicateur de 2,8 entre l’entrée et la sortie de la matière, ça me paraît correct. Mais là où je tique, c’est le coefficient du revendeur sommairement estimé à 2.
Guère plus.
Difficile de le lui faire baisser pour éventuellement booster les volumes et en même temps difficile de ne pas chercher des débouchés différents.
Sans doute vers des matériaux finis plus élaborés, je ne sais pas.
Faut que je mette « JB » sur le coup.
Et pourquoi pas « Noël », mon « commercial-mono-poumon », qui n’attend d’ailleurs que mon coup de fil pour se mettre en route.
Parce qu’il y a lieu de savoir très vite si nos produits sont considérés comme de la merde hors de prix (ce qui explique le coefficient « limite » du revendeur), ou si au contraire, c’est déjà considéré comme un produit de luxe sur lequel il massacre sa marge et lui sert alors de produit d’appel.
Bien sûr, je passe et « rapace » dans les bureaux (qui se remplisse de 8 h 30 à 9 h 30 et se vident à partir de 16 h 30, horaire flexible oblige). La compta banque.
Il faut payer les salaires de janvier, en tout cas ceux revenus impayés : C’est une urgence.
Parce ce que les gars, ils ont bossé en décembre, ont eu leur acompte avant Noël, pour financer leurs fêtes de fin d’année, mais pas tout des queues de l’année 2010, quasiment rien du salaire de janvier (y’en a qui avait pris un acompte au 15).
Février, ils ont fait un demi-mois avant de se coller en grève. Et ils n’ont repris le boulot qu’à la mi-Mars.
Je ne sais pas comment ils font…
On est en avril, ils n’ont toujours rien vu venir : Faut débloquer très vite la situation, si on peut.
Un mois de salaire plus les charges sociales, ça fait 313 K€.
Et on va disposer de près de 1.270 K€ avec les remises en banque en cours, alors qu’un mois de frais divers, ça représente 320 K€…
La TVA attendra un peu, parce que le différentiel entre prix d’achat à 5,5 % et prix de vente à 19,6 %, ça fait « chaud » : 97 K€/mois !
Et on pourra dès demain en comptant les jours de valeur.
Reste à faire le tri des urgences parmi les fournisseurs : On va manquer de gaz et EDF relance avec menace de coupure.
Et le contrôleur de gestion (qui s’occupe d’abord des payes et depuis le départ de la compta-chef, des déclarations aussi) de me faire : « Oh, ça ? Ce n’est pas très grave ! Ils peuvent couper ce qu’ils veulent, on a un groupe électrogène de secours. »
Pour les pannes de réseau et les périodes de « délestage »…
« Euh, on a assez de fioul pour faire face ? »
Pas sûr, mais on peut refaire le plein de la cuve.
Et puis il nous faut des sous pour les chèques de banque payable aux ventes par adjudication des domaines, me fait-il remarquer, pour le bois sur pied : Ça va devenir impératif.
Une caution suffit, mais comme elle a été dénoncée, on a loupé plusieurs ventes depuis janvier et cela va se faire sentir sur l’approvisionnement dès le mois de juin, quand la matière première va commencer à manquer.
Je me rappelle alors les « filiales-sœurs » en Slovénie et en Suède. Faut qu’il se renseigne sur les prix franco de port : On ne va pas non plus immobiliser nos tracteurs et nos plateaux pendant des semaines pour avaler en une journée de production leur chargement…
Et les payes d’avril ?
On passera, mais il est temps que la compta-client fasse rentrer les paiements.
Je me fais tirer une balance-fournisseur au passage par date d’exigibilité en me demandant bien s’il faut faire la distinction entre ceux d’avant et ceux d’après la date du dépôt de bilan, même si je sais bien que chez les fournisseurs, évidemment, ils imputeront nos paiements sur les factures les plus anciennes, contre toutes les vertus de la loi sur les règlements judiciaires des entreprises.
Et une balance-client, bé, c’est l’horreur : Un vrai bottin !
Je rappelle : 2.145 K€ au 31 décembre, soit avec un taux de TVA de 19,6 %, ça fait 98 jours de CA.
Là, avec la pagaille dans l’entrepôt, la facturation en retard sur l’activité fin mars/début avril, le reporting des « boutiques » déconcentrées, on ne sait plus.
Je parierai presque qu’on dépasse les 4 mois, à l’aise.
Mais c’est pire que ça quand je refais retirer une balance-client par ordre alphabétique, pour m’y retrouver dans mes petits.
À l’analyse « à la louche », mais ça m’a pris une bonne partie de l’après-midi pour comprendre, parce qu’il a fallu aussi démarrer l’audit-comptable, faire venir Aude, la loger en ville, lui installer notre bureau, trouver un hôtel pas trop cher pour « Noël » et sa grosse, faire venir « JC » (mon ingénieur méthode, celui qui se balade en avion les mercredis), parce que la môme à « JP », elle n’a finalement pas voulu lâcher son « inséminateur naturel », contacter mon pote RH (je vous raconterai) à la retraite pour venir m’épauler sur les négociations des jours de grèves à venir et la réintégration des licenciés (il n’y en a qu’une dizaine et pour motif économique)…
Bref, je n’ai pas chômé à courir après mille lièvres, me faisant monter des sandwichs et gâteaux à la crème par « Miss pigeonnante » alors que j’avais demandé ce service à « Miss Bonbon » de l’accueil, plus un pack de flotte et du café en thermos.
Bref, j’en reste sur le kul !
Il y a environ 200 clients habituels, un peu moins peut-être encore « actifs », des revendeurs, des menuisiers, des entreprises générales du bâtiment, un armateur et quelques autres, qui payent régulièrement autour du 15 sur relevé fin de mois.
Les remontées d’encaissement des « boutiques déconcentrées » qu’il faut que j’aille visiter rapidement (j’y laisserai mon « tas-de-boue-à-roulette » sur la BAU d’une autoroute, je vous raconterai ça une autre fois), ça représente plusieurs milliers d’encaissements/an sur des particuliers ou des « bricoleurs » de second-œuvre, plus ou moins au noir.
C’est du comptant pour la plupart, parfois du « chèque à papillon » à huit jours, de ce que je peux en déduire des relevés comptables.
Mais un bon tiers des comptes débiteurs en comptant les lignes, mettons un quart en comptant les dus, ce sont des factures émises depuis des trimestres, parfois pour des montants ridicules, mais parfois pour des montants nettement plus importants, et parfois depuis plusieurs années…
Vite fait et au « doigt mouillé » (sur la calculette qui en a transpiré pour le coup), pour pas loin de 500 K€ !
« C’est qui ces gens-là ? »
Le contrôleur de gestion, il jette un œil sur le relevé, l’air dubitatif : « Je ne sais pas. La plupart était déjà dans les comptes quand je suis arrivé ! »
Et personne n’a relancé quoique ce soit ou même suggéré de provisionner ces comptes ?
« Je ne sais pas, c’était du ressort de la chef-comptable… » Et du « CAC-papounet »…
Extraordinaire !
« Euh minute ! Y’en a quelques-uns qui sont toujours livrés depuis récemment. Faut les relancer ! »
« Ah oui, celui-là. Celui-ci aussi : Ce sont des clients de nos VRP ! »
Quoi, quoi ?
Les brokers multicartes, pas vraiment de la maison mais qui assurent quand même la moitié des ventes, essentiellement mais pas forcément, la preuve, en GMS, qui ne relancent pas leurs clients ?
« Je paye aussi des commissions sur du fric qui n’est jamais rentré ? »
Vous imaginez mon indignation : Je suis bord de l’implosion (*) !
(Encore un astérisque, parce qu’évidemment, je mets le doigt en m’en doutant un peu, sur un autre « coulage » pas possible de facturations sans livraison…)
Et pas de chance, ça tombe sur « Miss pigeonnante » qui m’apporte un catalogue de mobilier et la facture de sa fille pour le débogage de l’ordinateur de l’autre jour, tellement je suis sur les nerfs, là.
Je vous raconte la scène, parce que c’est pliant de rire…
Enfin… Ç’aurait pu prendre une tournure plus embarrassante !
Je fulminais déjà sévère à faire sortir les contrats des brokers, que déjà j’imagine mille plans pour leur serrer le kiki à la première occasion. Pensant aussi à charger l’équipe d’auditeurs qui arrive à se mettre en priorité sur ces comptes-clients.
Avec mon esprit tordu, je sais déjà comment la boutique se fait voler depuis des années.
Bref, la porte est ouverte, tout le monde m’entend râler au téléphone depuis un bon moment et depuis tout l’étage, balançant des noms d’oiseaux entre deux onomatopées quand je n’y suis pas, occupé à éplucher les konneries que je découvre au fil des pages…
Et je la vois arriver, toute pigeonnante, mini-jupe raccourcie, décolleté franchement ouvert sur sa poitrine orné d’un collier qui lui descend jusqu’au nombril qu’on peut apercevoir entre les boutons de son chemisier quand elle se déhanche subtilement, sa chevelure bouclée virevoltant au vent relatif créé par son avancée.
Tout sourire la fille.
Je ne sais toujours pas ce qu’elle fait dans les murs, à ce moment-là : En fait, elle est à la compta-client, justement, mais s’occupe de tout et vient pour me faire choisir le mobilier qu’elle veut commander pour « mon » bureau.
Évidemment, comme je fulmine, c’est elle qui se prend mon indignation entre les dents.
Tout ce qu’elle sait avancer, ce sont quelques explications alambiquées de factures contestées par les clients, de refus de livraison sans émission d’avoir, etc.
Très mal à l’aise la fille.
Alors elle fait le tour de mon bureau pour se coller à mon fauteuil et lire à l’endroit mes papiers.
J’ai la tête au niveau de sa poitrine et quand elle se penche avec ses lunettes de presbytes au bout du nez, elle se démerde, en pivotant je ne sais comment, pour que j’ai le nez dans son échancrure magistrale.
Pas gonflée la fille : Je ne suis pas là depuis 24 heures, que déjà elle me fait du gringue !
Le manège dure un moment comme ça, elle frotte sa poitrine sur mon épaule quand elle se redresse ou se penche : Une douée.
Moi, imperturbable, la tête dans les chiffres et libellés, je continue à écouter ses explications (parce que pour certains comptes, il y en a : Des changements de noms, des adresses incomplètes qui fait que le solde apparaît sur une autre ligne, l’ouverture par mégarde d’un autre compte parce qu’il y a une faute de frappe sur une facture, etc.).
Mais sa voix tremble, son parapheur aussi et elle laisse tomber son crayon qui roule sous mon fauteuil.
Je ne sais pas comment elle fait, mais elle se baisse naturellement pour le ramasser, tout en continuant de parler et prend appui sur ma cuisse droite, dont je sens la main « déraper » vers mon entre-jambe au fil de sa descente vers le sol.
Pas de chance, avant qu’elle n’arrive aux « bijoux de famille », je sens déjà mon « Popaul au col roulé » se mettre en position « béquille » et je recule brutalement mon fauteuil d’un coup de talon pour lui laisser la place de manœuvrer (à elle, parce que « Popaul », il est partiellement coincé dans le slip !).
Et d’un mouvement de tête, elle parvient à coincer une mèche de ses longs cheveux, dans un des boutons de ma veste.
« Aïe ! » Qu’elle fait en tentant de se remettre debout.
T’as pas l’air kon avec une canon-défraîchie à genoux à tes pieds la tête sur ta cuisse qui hurle dès que tu bouges !
Un peu plus et tu te retrouves comme Pierre Richard dans la scène avec Mireille d’Arc du film « Le grand blond à la chaussure noire » !
« Une paire de ciseaux ! Vite ! Une paire de ciseaux ! » que je crie.
« Ah non ! » fait-elle fermement. « Ma mise en pli ! Je sors à peine de chez le coiffeur ! »
Je retire assez souplement ma veste et c’est elle la kon, qui repart à travers les couloirs avec mon veston au bras attaché aux cheveux, à la recherche de l’aide d’une de ses collègues.
Je ne vous raconte pas les fantasmes dans le regard du personnel féminin qui accoure à elle.
« Oh ! Monsieur le Directeur, n’allez pas imaginer des choses ! Je suis vraiment désolée » fait-elle en revenant après avoir sacrifié sa mèche.
Mais non, mais non, je n’imagine rien : Je veux juste comprendre comment ces comptes-client restent ainsi débiteurs durant tant de temps…
Tu parles : Il faut un certain temps pour que la « béquille » reprenne sa position initiale et tout ce beau monde n’a d’yeux que pour mon haut de pantalon quand je me lève pour remettre ma veste !
Je vérifie quand même que mes papiers, cartes bleues et clés sont à poste et découvre un bout de papier avec un numéro de portable vite griffonné au fond d’une des poches.
Des folles !
Bref, une histoire à la kon qui a fait le tour de la boutique avant le soir !
Et dès la première remarque le lendemain matin, j’ai haussé des épaules en laissant tomber que je n’étais pas venu pour ça non plus !
Plus tard, à ceux qui insistaient un peu « graveleusement », notamment le tatoué CGT, je lui ai répondu du tac-au-tac que « je suis beaucoup plus sélectif que ça, moi ! » et qu’il ne le pensait.
Sous-entendu, lui se contente peut-être de n’importe quoi, pas moi !
Parce que des histoires comme ça, il y en a eu toute une ribambelle durant mon séjour, ne me concernant même pas toutes, en plus : Y’en a, c’est sûr, ils ont mauvais goût !
Mais du coup, ce jour-là, j’ai signé le « bon à payer » de la facture, sans discuter de son montant et ai laissé le choix du mobilier et des coloris aux filles de l’étage.
Y’en a quand même une qui, perfide, a posé la question subtile le soir même, à savoir si le lit dans l’armoire, c’était à « une place ou deux places ? ».
« Une seule, c’est moins cher ! »
« Pas très pratique, pour… certaines occasions ! »
« Si ! Puisque de toute façon, si on n’y dort pas, pour ces occasions-là, on ne peut que s’empiler ! »
Pan dans les dents !
Et puis j’y ai renoncé l’instant d’après : Bien trop dangereux avec toutes ces folles dans les parages !