Mentionné dans les tables du recueil Lebon…
3ème et 8ème sous-sections réunies ; Mme Anne Egerszegi, rapporteur ; Mme Emmanuelle Cortot-Boucher rapporteur public
SCP MONOD, COLIN, avocats
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du gouvernement, enregistré le 18 mars 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État ; le ministre demande au Conseil d'État d'annuler l'arrêt n° 08MA03685 du 3 février 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, faisant droit à la requête de la société civile immobilière (SCI) Le Mas des Sources, a annulé le jugement du 17 juin 2008 du tribunal administratif de Marseille et déchargé la société des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2002, ainsi que des pénalités correspondantes ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– Le rapport de Mme Anne Egerszegi, Maître des Requêtes,
– Les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de la société civile immobilière Le Mas des Sources,
– Les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Monod, Colin, avocat de la société civile immobilière Le Mas des Sources ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI Le Mas des Sources était propriétaire au cours des années 2000 à 2002, à Saint Rémy-de-Provence, d'un bâtiment dont une partie, aménagée à usage de bureaux, était louée à trois sociétés dirigées par son gérant et l'autre partie, à usage d'habitation, était laissée à la disposition du gérant et de sa famille ; que lors d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2000, 2001 et 2002, le vérificateur, après avoir constaté que la partie habitation avait été louée au cours de la période estivale durant ces trois années, a estimé que la SCI exerçait une activité commerciale de location de locaux meublés et l'a assujettie à l'impôt sur les sociétés et à la contribution additionnelle à cet impôt au titre de l'année 2002 ; que le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du gouvernement se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 3 février 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, faisant droit à la requête de la SCI Le Mas des Sources, a annulé le jugement du 17 juin 2008 du tribunal administratif de Marseille et déchargé la société de ces suppléments d'impôt et des pénalités correspondantes ;
2. Considérant qu'aux termes du 2 de l'article 206 du code général des impôts, relatif à l'impôt sur les sociétés, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige :
« Sous réserve des dispositions de l'article 239 ter, les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, même lorsqu'elles ne revêtent pas l'une des formes visées au 1 si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 (...) » ;
3. Considérant qu'une société civile donnant habituellement en location des locaux garnis de meubles doit être regardée comme exerçant une activité commerciale au sens de l'article 34 du code général des impôts et, par suite, est passible de l'impôt sur les sociétés par application du 2 de l'article 206 du même code et de la contribution additionnelle à cet impôt prévue par l'article 235 ter ZA de ce code ;
4. Considérant que la cour a relevé que la SCI Le Mas des Sources avait loué en meublé les locaux à usage d'habitation dont elle était propriétaire durant quinze jours au mois de juillet 2000, quinze jours au mois de juillet 2001 et durant le mois d'août 2002, seule année au titre de laquelle ont été établies les impositions litigieuses, et qu'elle avait conservé la disposition de ces locaux, qu'elle mettait gratuitement à disposition de la famille de son gérant, durant le reste de l'année ; qu'en en déduisant que la location ainsi consentie ne présentait qu'un caractère occasionnel et que, par suite, la société ne pouvait être regardée comme s'étant livrée en 2002 à une exploitation commerciale au sens de l'article 34 du code général des impôts la rendant passible de l'impôt sur les sociétés et de la contribution additionnelle à cet impôt, alors que la durée de la location est sans incidence sur son caractère habituel, lequel résulte de ce que les locaux meublés ont été loués à plusieurs reprises au cours des années vérifiées, la cour a commis une erreur de droit et, par suite, inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; que dès lors, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;
5. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'État qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt du 3 février 2011 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : Les conclusions présentées par la SCI Le Mas des Sources au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à la SCI Le Mas des Sources.
»
Vous l’avez compris !
Il ne s’agit pas d’un arrêt de principe mais bien de la confirmation d’une jurisprudence bien établie au fil des années : Une Société civile, fût-elle immobilière, qui fait des actes de commerces est soumises à l’Impôt sur les sociétés (régime de « l’opacité fiscale » des êtres moraux) et non plus au régime de la « semi-transparence » des sociétés de personnes (article 8 du CGI).
Où l’impôt sur les bénéfices est dû par les associés à raison de leur propre quote-part dans la cédule des produits encaissés.
Notez d’ailleurs qu’il est constant que l’administration applique le pacte social dans toutes ses conséquences, à raison de la participation au capital social de chaque associé, ou à raison d’une clé de répartition différente, y compris les « clauses-croupiers » éventuelles.
C’est assez courant, notamment dans les GIE ou les sociétés civiles professionnelles, voire celles dites « de moyens ».
En l’occurrence, une SCI ayant eu une activité de location meublée, même saisonnière pendant trois années consécutives, doit être assujettie à l’IS même si ces locations sont de courte durée.
Voire exceptionnelles.
La qualité de commerçant s’établie dans le code de commerce, notamment par la répétition des actes réputés commerciaux par nature.
Or, la location meublée emporte deux régimes fiscaux pour les particuliers, la LMNP (Location Meublée Non-Professionnelle) qui est une exception à la LMP (Location Meublée Professionnelle), notamment à raison des reports déficitaires imputables, pour les LMP, sur la totalité des autres revenus du foyer fiscal (ou non pour les LMNP : C’était une « niche » à évasion assez facile à réaliser, tout comme les déficits agricoles chez une profession fortement rémunérée…).
Parce que la location de meubles (wagons de marchandise, remorque de camion, containers de haute-mer, etc.), ça reste une activité commerciale du point de vue fiscal.
Vous louez votre appartement nu, sans meuble, c’est un revenu foncier.
Il est meublé, c’est un BIC.
Il est meublé mais il s’agit de votre résidence principale ou d’une de ses dépendances, il a encore un régime particulier d’exonération sous conditions (de seuil de recettes)…
Le fisc et ses régime réel, réel-simplifié, super-simplifié ou exonéré, c’est tout un poème, notamment quand on vient y rajouter la TVA … ou non.
Là, d’ailleurs, il n’est question que d’impôt direct sur les bénéfices, pas de TVA, ni même de taxe professionnelle.
Ce qui est assez curieux, d’autant que s’agissant d’IS, autrement dit l’impôt commercial des sociétés … commerciales du point de vue fiscal, normalement, le changement de régime d’imposition de la société entraîne la création d’un « être moral nouveau du point de vue fiscal », avec liquidation des plus-values latentes, puisque le régime des plus-values en cas de cession n’est plus du tout le même s’agissant d’un immeuble inscrit au bilan d’une société soumise à l’IS ou l’IR.
Mais grand silence sur le sujet … Qui ressortira dans quelques années, au moment de la cession (et des amortissements perdus pour n’avoir pas été comptabilisés au moins depuis 2002).
En bref, un arrêt qui confirme qu’une société civile immobilière qui se livre à une activité commerciale est passible de l’impôt sur les sociétés (IS), notamment lorsqu’elle donne habituellement en location des locaux meublés.
Ce n’est pas nouveau.
Et l’intérêt de cet arrêt réside dans le fait que le Conseil d’État vient d’apporter une précision sur le caractère « habituel » de la location, pour se conformer au code du commerce pris en son article L. 110-1, § 4° combiné à l’article L. 121-1 pour la nécessaire « habitude »…
Les juges ont ainsi estimé que le fait qu’un logement meublé soit loué à plusieurs reprises au cours des dernières années suffisait à démontrer le caractère habituel de l’activité, entraînant en conséquence, l’assujettissement de la SCI à l'IS.
Et que la durée de la location, même si elle est courte, était sans incidence.
En l’espèce, une mise en location un logement meublé durant trois étés consécutifs et pour des périodes allant de quinze jours à un mois, c’est suffisant.
Ce logement étant laissé gratuitement à la disposition de la famille du gérant durant le reste de l’année, ce qui est un avantage en nature dont il n’est pas fait mention, parce que ça n’a d’incidence fiscale que dans l’imputation éventuelle des déficits.
La loi la refuse, dans la mesure où être son propre locataire par le biais d’une société civile, payer les charges et ne pas payer de loyers pour créer des déficits, c’est considéré comme une fraude qui ne serait même pas admise : Vous pouvez le faire (seulement si les statuts de la SCI le permettent, dans le cas contraire il y aurait abus de confiance à l’égard des autres associés), mais le fisc ne veut même pas en savoir des conséquences : C’est une présomption légale et irréfragable.
Pour parvenir aux mêmes fins, il faudrait deux locations croisées entre deux tiers pour des montants de loyers équivalents. Et encore, le fisc pourrait vous expliquer qu’il y a eu paiement par compensation civile et venir vous taxer…
En revanche, je reste curieux qu’une tolérance fiscale n’ait pas été soulevée : En effet, l’administration fiscale admet que les sociétés civiles, qui se livrent accessoirement à des opérations commerciales, ne soient pas soumises à l’impôt sur les sociétés lorsque le montant hors taxes de ces opérations n’excède pas 10 % du montant de leurs recettes totales hors taxes.
C’est la tolérance dite des « 10 % » qui s’applique un peu partout, notamment en d’autres matières (par exemple l’agriculteur qui vend sa production en magasin en ville : Du pain béni pour les coopératives, qui existe aussi pour cette raison… totalement fiscale).
À moins que cela signifie que les locations saisonnières de ladite SCI étaient donc supérieures à 10 % de tous les autres loyers encaissés, notamment par les trois autres sociétés locataires…
Une affaire qui ne roule pas tant que ça, finalement…
Sauf si les sociétés déduisaient les loyers sans les payer, pour éviter l’IR au titre de la SCI.
Cocu qui se croyait donc le plus fort en « optimisation fiscale » (parfaitement légale, à condition de rester sous le régime de l’article 8 et du revenu foncier qui n’impose que les encaissements et les décaissement), qui n’est plus possible avec l’IS (régime des engagements).
En fait, le fameux gérant est allé trop loin dans son optimisation : Il aurait encaissé directement l’occupation précaire de son logement par d’autres tiers, sans passer par la « case SCI », ce qui est probablement possible si le « bail de mise à disposition » permettait la sous-location, il n’aurait pas eu tous ces malheurs.
Ni vu, ni connu.
Encore un qui s’est adressé à son expert-comptable, qui a cru bien faire en lui expliquant qu’il valait mieux passer par un bail précaire et saisonnier…
Y’en a plein comme ça, qui ont tué leurs clients avec d’aussi bons et judicieux conseils !
Que j’en rigole toujours autant, figurez-vous, qu’on puisse se faire berner aussi facilement par les « hommes du chiffre », alors que le chiffre n’est jamais que la traduction quantitative de la « lettre ».
Et comme le chiffre ne sait souvent pas lire la lettre comme il faut (je me bagarre trop souvent sur ces sujets avec les « hommes de l’art »), bé on débouche régulièrement sur des catastrophes fiscales !
Immanquable…