Sait-on que dans mon pays, elle est gravement entravée ?
Et pour d’excellentes raisons, jusqu’à n’en plus pouvoir.
Suivez le mécanisme : La population, dans son ensemble, ardemment relayée par un pouvoir législatif et réglementaire né « aux petits-soins » pour elle, qui ne veut finalement que le bonheur du peuple par lequel il est élu et pour lequel tous œuvrent avec application et gourmandise, on a réussi à pondre quelques 400.000 textes/normes avec lesquelles nous vivons survivons tous les jours !
Et si vous ne respectez pas « la norme », vous devenez aussitôt coupable, au mieux de négligence, au pire des affres judiciaires que vous aurez bien cherchés pour mieux vous pendre.
En effet, face à une plus grande demande en matière de sécurité ou de protection, les textes réglementaires se sont multipliés, virant au casse-tête.
Notre gouvernement vient même de créer une mission chargée de lister les textes jugés « absurdes » et pouvant être facilement abrogés (mais seulement ceux-là) : C’est dire que même dans leur cécité profonde, ils commencent à mesurer l’ampleur du phénomène !
On cite souvent Jacques Chanut : En 2009, ce patron d'une entreprise du BTP chargé de construire une nouvelle caserne pour la gendarmerie de Villefontaine a dû livrer un immeuble d'habitation pour les gendarmes et leurs familles, dans lequel tous les appartements, sans exception, devaient respecter les normes pour les handicapés.
En vertu de la réglementation issue de la loi de février 2005 facilitant l'accès aux personnes à mobilité réduite aux logements et aux établissements recevant du public, même les studios destinés aux gendarmes adjoints volontaires – des jeunes de 17 à 26 ans qui ne peuvent exercer ce métier qu'après avoir été reconnus physiquement aptes – ont donc les dimensions requises, pour faciliter l'accès handicapé à un lit, aux toilettes ou à la salle de bains !
Résultat, un surcoût correspondant à 5 % à 7 % de surface en plus...
Ainsi, suite à l'accident de Beaune du 31 juillet 1982 dans lequel étaient impliqués deux autocars et ayant causé la mort de 53 personnes dont 44 enfants, le ministre des Transports « Charles Fi-terre-man » avait décidé dans l’émotion d'une série de mesures renforçant grandement la sécurité routière : Limitation de la vitesse maximale autorisée pour les cars, équipement obligatoire d'un dispositif mécanique de limitation de vitesse pour les camions et autocars, etc.
Une autre disposition interdisait aux autocaristes transportant des enfants de circuler sur longue distance les jours de grand chassé-croisé.
Elle est toujours en vigueur.
Ainsi pour cette année, un arrêté pris le 11 décembre dernier fixe au samedi 3 août 2013 l'interdiction temporaire. A priori, la décision est sage. Sauf que les autocaristes transportant des adultes pourront, eux, circuler ce jour-là…
Autre exemple : En vertu d'un pouvoir réglementaire conféré aux fédérations sportives et touchant les équipements nécessaires au déroulement des compétitions, un maire apprend, de temps à autre, que telle ou telle fédération lui impose de modifier, aux frais de sa commune, l'équipement dont elle est propriétaire.
Le maire (PS) du Mans, vient ainsi de se voir signifier par la FFF le déclassement au niveau 5 du stade des Fontenelles, précédemment classé en niveau 4 : L'installation ne pourra plus accueillir de matches de division d'honneur senior masculin des ligues régionales, et devra se contenter de compétitions d'un rang inférieur.
La raison ? Pour être homologué en classe 4, un stade doit compter deux vestiaires, réservés aux arbitres, d'une surface minimale de 8 m² chacun. Or, aux Fontenelles, les vestiaires arbitres mesurent 9,5 m² pour l'un, mais seulement 7 m² pour l'autre...
Un architecte désire construire un immeuble d'habitation comportant des balcons ? Frédéric Denisart, vice-président de l'Ordre des architectes, détaille le chemin de croix : D'abord, le fonctionnaire instruisant la demande de permis de construire va regarder si une personne handicapée pourra aisément se mouvoir sur le balcon en question. Ensuite, l'administration va vérifier si ce balcon est compatible avec la nouvelle réglementation sur la performance énergétique des bâtiments.
L'architecte a prévu le coup : Pour éviter un pont thermique, il mettra un isolant entre le balcon et l'immeuble. Cela revient à dissocier les deux.
Erreur ! En application de la réglementation parasismique entrée en vigueur le 1er mai 2011, il y a des chances pour que le fonctionnaire impose une structure complémentaire soutenant le balcon...
Autre diktat : La Fédération internationale de basket a décidé en 2008 que la ligne des trois points (celle où se place le basketteur quand il tente de marquer un panier qui rapportera trois points à son équipe) devra être éloignée à 6,75 mètres du panier pour les compétitions professionnelles dès la saison 2010-2011 et à tous les niveaux pour la saison 2012-2013, contre 6,25 mètres précédemment. Ce recul de 50 centimètres est intéressant sur le plan sportif, car il rend le tir à trois points plus difficile. Mais il impose de refaire les parquets. Au niveau national, 4.433 salles de basket sont concernées par cette modification, entraînant un coût total d'investissement estimé entre 3,5 et 5 millions d'euros hors taxes.
Mais le casse-tête le plus savoureux reste « l'arrêté saucisses ».
De son vrai nom : « Arrêté du 30 septembre 2011 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire ».
Née de simples recommandations élaborées par le Groupe d'étude des marchés de restauration collective et nutrition – recommandations devenues obligatoires dans le cadre de la loi de juillet 2010 modernisant l'agriculture et la pêche –, cette réglementation signée par … dix ministres est d'une lecture désopilante pour tous les gastronomes.
Entre autres détails, elle précise que « la variété des repas est appréciée sur la base de la fréquence de présentation des plats servis au cours de 20 repas successifs ».
Quant à la taille des portions servies, un plat composé (choucroute, paella, hachis-Parmentier, brandade...) doit peser « 180 grammes en maternelle, 250 g en classe élémentaire, de 250 à 300 g en collège ou au lycée ».
Pas plus pas moins !
Mais pas encore dans les self-services ou les restaurants de ville (à qui on va enfin apprendre à cuisiner leurs spécialités) !
Obligatoire au 1er septembre dernier pour tous les établissements scolaires, cette norme le sera aussi au 1er juillet prochain dans les crèches, haltes-garderies, établissements sociaux et médico-sociaux, établissements de santé, universitaires et pénitentiaires…
Et chacun de s'attendre avec délectation à de futures modifications, pour différencier les grammages des portions du déjeuner et du dîner et pour prendre en compte les spécificités alimentaires des DOM, ou pour étendre l'arrêté aux centres de loisirs...
Et on pourrait multiplier à l'infini ces exemples d'inflation réglementaire.
Le phénomène n'est pas propre à mon pays : Tous les pays doivent répondre à une demande croissante de leurs concitoyens en matière de sécurité, de protection des générations futures, ou d'application du simple principe de précaution.
Mais dans ce domaine, l'administration de « Gauloisie libertaire » bat tout de même des records.
À elle seule, l'action des élus locaux est encadrée par la somme phénoménale de 400.000 textes réglementaires et circulaires !
Des textes dont une bonne partie s'applique aussi, par ricochet, aux entreprises travaillant avec les collectivités locales.
Et le flux ne fait que croître.
Déjà en 1991, le Conseil d'État mettait en garde contre « la prolifération de textes, l'instabilité croissante des règles et la dégradation manifeste de la norme juridique ».
Dans le cadre de sa contribution aux travaux de la commission « d’Ak-tali », l'OCDE enfonçait le clou en 2007, estimant qu'en trente ans « le corpus législatif a augmenté de 35 %, le volume du "Bulletin officiel" a doublé et la longueur des lois s'est allongée de 93 lignes en moyenne ».
Dans le même esprit, le classement 2012-2013 du World Economic Forum place la « Gauloisie de la norme » au… 126ème rang sur 144 pays en matière de complexité administrative !
Autant de « complexité-réglementaire » qui encadre la Liberté économique de chacun à tout instant, sans même qu’on ne s’en rende compte…
Si cette complexité se nourrit à une multitude de sources, l'inflation normative procède surtout par empilement de textes.
« Domino Milliard », Président du directoire de RTE, la filiale d'EDF responsable du réseau de transport de l'électricité, constate, par exemple, qu'il faut 6,5 ans en moyenne de procédures en mon pays avant de pouvoir donner le premier coup de pioche de la construction d'une ligne à haute tension, contre 3 ans en Autriche ou 2,5 ans au Danemark.
Des pays pourtant tout autant sensibles aux préoccupations environnementales.
Entre autres causes : La nécessité de procéder à un débat public, une procédure qui, à sa création, s'est ajoutée à la réglementation déjà existante.
Ou encore l'obligation de discuter avec 6 administrations locales différentes (Direction départementale des territoires pour les permis de construire, Direction régionale des affaires culturelles pour les fouilles archéologiques, etc.), chacune ayant ses propres procédures.
Et de recommencer au niveau national.
De quoi inciter RTE à enfouir ses câbles ? Même pas : Un projet d'oléoduc ou de gazoduc n'est soumis à débat public qu'au-delà de 200 kilomètres, mais ce seuil est ramené à 10 kilomètres pour les liaisons électriques souterraines de 400.000 volts…
Cette lourdeur a bien sûr un coût… tellement élevé parfois qu'il peut aboutir à l'inverse de l'effet recherché, une règle excessive devenant vite inapplicable.
Ainsi, la réglementation concernant les handicapés implique 20 milliards d'euros de travaux pour mettre à niveau avant le 1er janvier 2015 les 332.000 établissements recevant du public gérés par les collectivités locales et l'État.
Et je ne cause pas de mon ascenseur, où la norme exige que le bouton d’appel soit à moins d’1,20 m du sol pour qu’un handicapé puisse jouer avec… à tous les étages !
Par malchance, l’appareil est tellement petit, qu’à part casser l’immeuble, aucun fauteuil ne peut y rentrer, même plié…
Un objectif « impossible dans le contexte économique et budgétaire actuel », reconnaissait en septembre dernier un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales, du Conseil général de l'environnement et du développement durable, et du Contrôle général économique et financier.
Pas étonnant, dès lors, que la révolte gronde, notamment au niveau des collectivités territoriales pressées par l'État de se serrer la ceinture, et contraintes dans le même temps d'engager des frais en vertu de nouvelles réglementations.
Mais comment dégraisser le « mammouth normatif » ?
Un point est déjà acquis : Les politiques – de droite comme de gauche – ont pris conscience ces dernières années de la nécessité de simplifier l'arsenal réglementaire. Le gouvernement de « Fifi le déchu » a ainsi mis en place en 2008 la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN).
Présidée par « Al Anus Lam-Berthe », président (UMP) du Conseil général de l'Orne et ancien ministre du Budget, la CCEN conseille l'exécutif seulement sur les textes en préparation touchant aux collectivités territoriales.
De même, en novembre 2010, « Fifi le déchu » a nommé le conseiller d'État « Do-ré-mi Bouchez-vous les orifices » premier commissaire à la simplification !
Il est censé vérifier que les projets de décrets et arrêtés relatifs aux entreprises et aux collectivités territoriales aient fait un travail d'évaluation préalable, notamment financier, dans les ministères.
Pour quel bilan ? « Je reconnais que cela ne donne pas des effets spectaculaires », confiait le monsieur peu de temps avant de quitter son poste de « commissaire à la simplification », dont les missions seront prochainement amplifiées et élargies.
Même sentiment mitigé à la CCEN.
Certes, son président se félicite que l'exécutif accepte souvent de rectifier un texte mal ficelé quand la commission menace d'émettre un avis défavorable.
Mais il plaide pour un renforcement des pouvoirs de la commission. Par exemple, pour qu'elle puisse chaque année lister le coût pour les collectivités territoriales de décisions prises par l'État. « Cela clarifierait utilement le débat sur leurs relations financières », juge-t-on.
Soucieux d'aller plus loin, le gouvernement « Air-Haut » a, le 18 décembre dernier, décidé d'une série de nouvelles mesures destinées à endiguer le flux de nouvelles normes et à améliorer leur qualité. Une des idées retenues est de généraliser les études d'impact préalables à la publication d'un texte réglementaire ou transposant le droit communautaire : Encore des coûts et des délais… Un barrage supplémentaire en amont de toute tentative d’amaigrissement administratif.
Les chausse-trappes sont nombreuses. « Si vous visez trop large, par exemple en voulant réviser les objectifs de la loi sur l'accessibilité aux handicapés au motif qu'ils ne sont pas réalistes, vous courez à l'échec ».
De quel droit remettrez-vous en cause une telle amélioration dans la vie d'un handicapé ?
« Et s'il est vrai que cette loi est trop complexe, il est impossible de la modifier autrement que par une autre loi. Aucun gouvernement ne s'y risquera. »
Au final, ceux qui tentent de lutter contre l'inflation des normes pourraient aussi s'inspirer de l'exemple de l'Afnor, l'agence qui gère nos normes volontaires établies par consensus entre industriels.
Contrairement à l'administration, son directeur général n'a, lui, aucun problème de stock : « Tous les cinq ans, nous passons en revue toutes nos normes en décidant avec les parties prenantes celles qu'on maintient en état, qu'on annule ou que l'on fait évoluer. » Résultat, sur 35.000 normes, 2.250 ont été supprimées en 2010, et 1.900 créées.
Mais les normes volontaires édictées par l'Afnor par consensus entre les industriels concernés peuvent parfois devenir … obligatoires si l'administration en décide ainsi. On recense précisément 140 textes réglementaires – des arrêtés ministériels la plupart du temps, mais aussi quelques décrets – rendant obligatoires 391 normes établies par l'Afnor.
L'intention de départ est louable. Confrontée à un problème très technique (caractéristiques du supercarburant sans plomb, méthode d'analyse des échantillons d'eau, réglementation sur le cubage des bois, les dimensions des boîtes aux lettres ou les prises pour fluides médicaux), l'administration prend en quelque sorte sur étagère une norme déjà validée par les industriels.
Je me rappelle même celles relatives aux hôtels trois et quatre étoiles, qui est d’abord une norme Sofitel/Méridien, avant de devenir un standard national, puis une référence mondiale, et qui va loin dans le détail (l’eau chaude doit arriver au robinet de n’importe quelle chambre en moins de 30 secondes, par exemple : Je sais, je m’amuse à vérifier quand je me déplace).
Mais quand cette norme volontaire devenue obligatoire devient caduque, par exemple à cause d'une innovation technologique, il faut réécrire l'arrêté ou le décret. Ce qui peut prendre beaucoup de temps, retardant d'autant la diffusion de l'innovation. Je l’ai vécu pour des produits innovants assez exceptionnels : Pourquoi croyez-vous que l’huile minérale soit encore présente dans vos moteurs de voiture, alors qu’il existe des traitements de surface « à vie » de pièces mécaniques sans une once de lubrification ?
Parce que la norme nouvelle n’a pas été admise… On ne saurait plus quoi faire des huiles de pétrole, qui ne sont jamais que des résidus !
Idem avec un isolant sans bitume, plus résistant que le support en béton ou en acier sur lequel il est appliqué : Il renforçait même leur tenue mécanique.
Pas compatible avec la norme qui stipule un minimum d’épaisseur du composant, quel que soit la performance d’isolation.
Entre-temps, avant la norme, tout le monde fait comme il lui plait, du moment que chacun (lient et fournisseur) est content de son sort et du rapport quelité/prix.
Puis la norme est conçue par quelques-uns pour se faire valoir ou imposer une nouveauté inutile qu'ils sont seuls à posséder : C'est l'histoire des standards de prises électriques, des chargeurs d'appareil nomade, des normes 4G, etc.
Ensuite, elle est validée par l’Afnor et finalement elle devient obligatoire par décision de l’administration : Ce n’est même pas une décision politique, qui ne fait que valider le consensus apparent.
Résultat, ceux qui sont équipés « ferment » leur marché aux « hors-norme ».
Ce qui permet de créer de la « pénurie d’offre » et de garder des marges tout en consolidant une situation de « rente ».
Et qui paye finalement ? La collectivité, voire plus en détail, l’utilisateur qui ne sait même pas que sa poignée de porte est elle-même normée, ou que son robinet d’eau l’est tout autant !
Prix final justifiée d’ailleurs par l’existence d’une norme : Combien de fois l’ai-je entendu pour le moindre marché public ou parapublic, à en faire disparaître des savoir-faire uniques, parce que la boutique n'était pas aux normes, sans rapport évident avec le produit, d'ailleurs !
Bienvenu dans ces pays de « libéralisme outrancier », si vertement critiqué par tous ces dictateurs de la pensée unique !
Nous avons fait crever notre prospérité et le dynamisme créateur de nos libres-entreprises sous le poids des normes, sans même nous en rendre compte.
Et en plus, nos impôts et les leurs, nourrissent jusqu’à en crever, une administration « pinailleuse » et pléthorique, aussi inutile qu’incapable de faire respecter leurs règles et normes : La preuve, rien n’a n’empêché de vous faire bouffer des chevaux en vous faisant croire que c’était du cochon hallal ou du « bœuf-pas-cher » : C’est vous dire si j’en rigole encore !