VIVE LA CONCURRENCE !
La concurrence fait peur.
Interrogés dans le World Values Survey (2005), 59 % des « natifs de Gauloisie » déclarent être en accord avec l’idée que la concurrence est dangereuse et qu’elle amène le « pire chez l’être humain ».
Sans être une véritable exception française – Japonais et Belges, par exemple, expriment un rejet similaire –, il s’agit bel et bien d’un trait culturel « Gaulois » profond qui s’inscrit dans le cadre plus large d’une aversion vis-à-vis du capitalisme.
Or, dans de très nombreux cas, les bénéfices de la concurrence, en termes de prix ou de qualité des produits et services, sont avérés.
Pour autant, la perception de ces bénéfices par les citoyens n’est pas forcément aisée…
La raison en est simple : les effets négatifs de la concurrence sont directement visibles, médiatisés et symboliques, tandis que les gains à mettre en regard sont plus diffus.
Le débat sur l’impact de la globalisation en est un symbole : si la concurrence des entreprises chinoises a permis une baisse drastique des prix du textile en « Gauloisie », la globalisation reste fondamentalement perçue comme négative dans l’opinion publique.
Ceci s’explique certainement par l’opinion largement répandue selon laquelle les difficultés d’insertion dans l’emploi et l’insécurité des parcours professionnels prennent leur source dans les délocalisations…
En d’autres termes, les Français ne perçoivent que faiblement les gains d’une plus forte concurrence et sont par ailleurs convaincus qu’elle est l’ennemi de l’emploi.
Il est vrai que la concurrence détruit certains emplois : les entreprises les moins compétitives disparaissent lorsqu’un secteur s’ouvre à la concurrence, que ce soit par le biais d’une dérégulation ou d’une ouverture au commerce international.
Les conséquences sociales des licenciements associés à ces fermetures d’entreprises peuvent être dramatiques.
Dès lors, l’analyse selon laquelle la concurrence est créatrice d’emplois ne manquera pas de surprendre.
En effet, la concurrence est souvent perçue comme un facteur de baisse de profits pour les entreprises, entraînant donc à plus ou moins long terme des pertes d’emplois. Cette vue est erronée, car elle considère la concurrence comme un jeu à somme nulle : ce que gagnent les consommateurs devrait être perdu par les entreprises, et incidemment par les employés.
Or, la concurrence est loin d’être un jeu à somme nulle.
Le mécanisme est simple : la pression concurrentielle, c’est-à-dire la crainte de perdre ses parts de marché, incite les dirigeants à améliorer l’efficacité de leur entreprise, que ce soit par l’adoption d’un nouveau schéma organisationnel, de nouvelles pratiques de gestion, de nouvelles technologies ou, plus généralement, par l’accroissement de l’effort d'innovation. Cette hausse de la productivité des entreprises permet de créer de nouvelles richesses que se partageront employés (potentiellement sous la forme de nouveaux emplois créés) et actionnaires.
Mais la concurrence peut donc créer des perdants – les salariés des entreprises dont les positions dominantes sont remises en question par l’introduction de la concurrence.
Au-delà de ce phénomène, la concurrence crée de l’instabilité. Cette instabilité nourrit certainement le sentiment de crainte qui persiste à l’égard de la concurrence.
Nous savons que, dans la plupart de ces secteurs, la dérégulation conduit à une augmentation de la productivité des firmes dérégulées, ainsi qu’à une hausse de l’emploi dans le secteur.
Néanmoins, de nombreuses contributions tendent à montrer que ces gains de productivité proviennent en partie d’une réduction des coûts salariaux dans les anciens monopoles. Il y a peu de doutes sur le fait que la concurrence crée des turbulences dans l’environnement économique.
Les syndicats perdent une part de leur pouvoir lorsque l’intensité concurrentielle s’accroît, si bien que certains salariés se voient confrontés à d’importantes restrictions salariales. De manière générale, la rémunération des travailleurs, comme les résultats des entreprises, deviennent plus volatils dans un environnement plus concurrentiel : le risque augmente.
Doit-on pour autant restreindre la concurrence?
Le rôle de l’État est plutôt d’accompagner ces bouleversements sociaux, ces turbulences, afin d’en limiter l’impact. Les politiques de protection sociale ou encore la formation professionnelle sont autant d’instruments dont disposent les pouvoirs publics à cet effet.
Par ailleurs, l’innovation est un moteur essentiel de la croissance. Dès lors, une politique de la concurrence efficace doit donc prendre en compte ce lien ambigu entre concurrence et innovation, notamment dans ses choix en matière de régulation publique.
Le bon instrument de politique économique n’est évidemment pas une limitation de la concurrence entre entreprises, mais plutôt la mise en place de systèmes de brevets efficaces (*).
La récente crise financière a démontré le rôle dévastateur que pouvait jouer une prise de risque excessive par les opérateurs institutionnels sur la stabilité du système financier.
Pour certains économistes comme Joseph Stiglitz, la forte concurrence entre institutions financières est directement à l’origine de ces prises de risque excessives. La concurrence érode les profits des banques qui, pour restaurer leur marge et éviter la faillite, peuvent avoir recours à des prêts de moindre qualité mais dont le profit potentiel est très élevé.
Ces théories trouvent un certain support dans les données, bien qu’il s’agisse là d’un champ de recherche encore peu développé.
Il n’en reste pas moins que les premières études tendent à prouver que la concurrence entre institutions financières accroît la prise de risque.
Alors, quel rôle alors pour la régulation publique en ce domaine ?
Une fois encore, il ne s’agit pas d’étouffer la concurrence. Les consommateurs, et plus généralement l’économie dans son ensemble, ont beaucoup à gagner d’une forte concurrence entre institutions bancaires.
La mise sous tutelle de l’ensemble du secteur financier serait donc coûteuse pour l’économie réelle.
Il existe de nombreux instruments de régulation plus efficaces pour lutter contre les prises de risques excessives tout en maintenant un niveau élevé de concurrence, notamment la régulation prudentielle et la création d’une fiscalité spécifiquement adaptée au secteur financier.
Autre chose : pourquoi les bénéfices de la libéralisation du secteur de l’électricité ne sont pas plus visibles en « Gauloisie énergétique » ?
En réalité, malgré l’ouverture théorique de cette industrie à la concurrence, ce marché demeure très peu concurrentiel : EDF concentre plus de 90 % du marché national de la fourniture d’électricité.
Les nouveaux entrants ne semblent donc pas pour l’instant représenter une menace crédible pour l’opérateur historique.
Cette sous-représentation des opérateurs alternatifs s’explique de deux manières : par les tarifs réglementés, qui empêchent les opérateurs alternatifs d’être compétitifs, et par la trop faible concurrence sur le marché de la production.
Les nouveaux opérateurs doivent en effet s’approvisionner auprès d’EDF lorsque leurs capacités de production ne sont pas suffisantes.
Les prix sur ce « marché de gros » se forment sur un marché européen que l’on appelle la « plaque franco-allemande ».
Ce marché se détermine en partie par rapport aux coûts de production de l’électricité en Allemagne. Or, contrairement à la « Gauloisie », les Allemands ont décidé de délaisser l’énergie nucléaire pour lui préférer les filières thermiques et renouvelables.
Leurs coûts de production sont de fait très nettement supérieurs aux coûts de production français !
Ce choix allemand contribue à augmenter le prix de gros auquel ont accès les fournisseurs alternatifs infra-Rhin.
Parallèlement, les prix de l’électricité pour les consommateurs – les tarifs réglementés – sont calculés sur la base du coût comptable du parc nucléaire en « Gauloisie de l’atome » qui se situe bien en deçà des prix de gros.
Concrètement, EDF vend l’énergie nucléaire aux particuliers à un coût d’environ 34 euros/MWh alors que ses concurrents l’achètent à plus de 50 euros/MWh sur le marché de gros.
Ce « ciseau tarifaire » limite considérablement l’espace économique des nouveaux entrants et, par conséquent, restreint les bienfaits potentiels de la concurrence.
CQFD
Notre attitude face à la concurrence doit changer.
Consommateurs, employés, citoyens et même parents d’élèves, nous avons pour la plupart beaucoup à perdre d’une restriction de la concurrence.
La « Gauloisie réglementée »connaît depuis de nombreuses années une crise structurelle de compétitivité.
Le développement d’une concurrence saine – impliquant, parfois, une intervention bien pensée du régulateur – au sein des secteurs dans lesquels elle n’existe pas ou n’est pas assez présente, constitue l’un des remèdes à cette crise.
Des taxis aux pharmacies, de la distribution de l’eau au transport ferroviaire ou au transport du courrier, il existe en « Gauloisie magnifique » des marges de gain de productivité considérables qui finiront nécessairement par bénéficier aux consommateurs.
Les circonstances de l’actuelle crise financière, économique, mais aussi morale et intellectuelle ne peuvent que renforcer la tendance à rendre le libéralisme responsable de tous les maux.
En « Gauloisie dogmatique », le problème ne date pas d’aujourd’hui, il possède des racines qui s’enfoncent loin dans le passé, il concerne la naissance et le développement de l’État administratif à la « Gauloise », qui a fait figure de colonne vertébrale dans l’histoire de notre Nation.
Sous les effets de la construction européenne, aussi hésitante soit-elle maintenant, et de la mondialisation, l’État administratif devrait renoncer à nombre de ses prétentions !
Pour un dernier coup d’œil vers le passé, il est bon d’écouter ce que disait de nous un historien trop oublié, Henry Thomas Buckle, dans son « Histoire de la civilisation en Angleterre », aussitôt traduite en français (1865).
Buckle ne manque pas de comparer l’Angleterre à son voisin d’outre-Manche, qu’il gratifie de l’appellation « esprit protecteur » (the protective spirit), ce qui ne devrait pas nous surprendre.
« Le peuple français, quoique grand et magnifique, plein de cœur et de courage, chez qui les connaissances abondent et, peut-être, de tous les peuples de l’Europe, celui que la superstition opprime le moins, a toujours été incapable d’exercer le pouvoir politique et, quand il l’a possédé, il n’a jamais su combiner la liberté avec la stabilité.
L’un de ces deux éléments du pouvoir lui a toujours manqué.
Il a eu des gouvernements libres qui n’ont point été stables ; il a eu des gouvernements stables qui n’ont point été libres.
Grâce à son tempérament généreux, il s’est révolté ; et il est probable qu’il continuera à se révolter contre une condition aussi mauvaise. Mais il ne faut pas être prophète pour prédire qu’il faudra encore plusieurs générations avant que ses efforts portent fruits ; car l’homme ne sait être libre qu’autant qu’il a été élevé par la Liberté, et cette éducation, ce n’est ni l’école ni les livres qui la donnent, c’est le frein que l’on s’impose à soi-même, la confiance en soi, le gouvernement du pays par le pays.
Ces idées sont traditionnelles en Angleterre, nous nous en pénétrons dans la jeunesse, nous les adaptons aux règles de la vie.
Les vieilles associations en France prennent toutes une autre direction : à la moindre difficulté, elles appellent le secours du gouvernement. Ce qui pour nous est concurrence, pour elles, est monopole ; ce que nous faisons par nos sociétés privées, le Français le fait par les administrations publiques.
Il ne peut creuser un canal, construire une voie ferrée, sans faire appel au gouvernement.
Il lève sans cesse les yeux vers ses chefs ; nos gouvernants suivent le peuple du regard.
Chez lui le pouvoir exécutif est le centre d’où rayonne la société. Chez nous la société est l’instigateur et le pouvoir n’est que son instrument.
Les résultats dans les deux pays sont aussi différents que les moyens d’action.
Nous nous sommes rendus capables d’exercer le pouvoir politique par la longue pratique de nos droits civils ; le Français se borne à croire que quoiqu’il en ait négligé la pratique, il peut prendre le pouvoir. »
VCRM
Nota d’I-Cube : Buckle a fortement raison. Quelle que part, c’est « dans la tête » que ça se passe.
Et la tête d’un british n’est pas formatée comme la tête d’un Gaulois, je peux en témoigner.
L’un est Saxon, descendant de Viking, l’autre s’est forgé à Gergovie, descendant des Burgondes…
Bref une incompatibilité « forte » qui a pourtant poussé par les événements un Churchill à proposer la fusion des deux Nations en 1940.
C’est dire si les britanniques savent être « courageux » à leur tour, ou pragmatiques.
Pour ma part, une « Grande Nation » !
Merci de ta « contribution », VCRM.
(*) Je voudrais revenir en marge sur le système de protection fourni par le « brevet ».
Si j’ai bien compris le mécanisme appris en cours de droit en licence (c’est donc assez lointain), c’est un système qui empêche autrui d’exploiter une « trouvaille ».
20 ans pour tous, 5 ans pour un médicament (mais ça eut peut-être changé depuis, je ne sais pas et je n’ai pas envie de chercher la bonne réponse).
Normalement, à peu près partout dans le monde.
Il en va autant d’un modèle ou d’un dessin.
Il est un autre « modèle » de protection qu’est « le droit d’auteur ». Celui-là est à vie, de la vie de tous les héritiers.
On ne peut pas copier « Tintin », même si « Tintin » a copié « Bécassine »…
On ne peut pas reprendre la rouquine du « 5ème élément » pour vendre du téléphone portable.
Ni encore moins du Victor Hugo pour faire une chanson.
Et Cætera.
Et quand on voit qu’on brevette aujourd’hui tout et n’importe quoi, empêchant l’exploitation des « bonnes trouvailles » par d’autres que l’inventeur (au sens de « découvreur ») qui en ont besoin pour améliorer encore le dispositif « trouvé », je me demande à quoi ça sert.
D’autant mieux que les « copies » sont toujours très nombreuses, parce qu’il y a partout des gens sans foi ni loi qui s’approprie toute chose dont ils peuvent tirer profit.
Je le fais bien parfois quand j’use des « équations de corrélation par les moindres carrés », que je n’ai pas inventées…
Ou que je recopie à la virgule près un arrêt pondu par des Conseillers de Cour de Cassation ou de Conseil d’État !
En bref, ça appartient à tout le monde.
C’est donc « restrictif », empêcheur de progresser, au moins en matière technologique.
En matière de création artistique, encore, je veux bien puisqu’on est dans le « droit d’auteur », qu’il y ait eu dépôt ou non de la marque ou du dessin.
Faut-il vraiment « créer » des rentes à ses équipes d’inventeur ?
Ne serait-il pas plus bénéfiques au contraire de faire circuler les résultats de travaux de recherche, ce qui éviterait le cas du « vol » du test du Sida, par exemple ?
Et au meilleur d’en tirer plus la couverture à soi pour le plus grand bien de l’humanité ?
Je ne sais pas, je pose juste la question.