C'était le bon temps du « socialisme triomphant ».
Celui qui faisait le ménage en « nationalisant » à tour de bras et faisait « valser les têtes » impertinentes, n'est-ce pas Jean-Pierre Elkabbach !
René Lucet est le fils d'un propriétaire de cinéma de Fontainebleau.
Ancien élève de l'Institut d'Études Politiques, licencié en droit, ilentre à la caisse d'allocations familiales de Melun en 1964, qu'il finit par diriger quelques années plus tard après avoir travaillé à Paris.
En 1979, il devient directeur de la CPAM des Bouches-du-Rhône et impose, par des méthodes musclées, un assainissement des finances.
En particulier, il met fin à la délégation de service public dont avait bénéficié une mutuelle proche de la CGT.
Apparemment, le syndicat en avait profité pour se constituer une caisse noire.
Il découvre aussi un système de financement de partis politiques locaux à travers un système de fraude à l'assurance-maladie.
Très marqué à droite, il suscite bien évidemment la méfiance du gouvernement socialiste dès 1981.
En fait, de deux réseaux de fraudes semblaient s'imbriquer.
Le premier, basé à Marseille, fondé par un ancien truand rescapé de la guerre gangs qui avait suivi l'arraisonnement du yacht Combinatti dans les années 50 et avait fait une trentaine de morts.
Il s'agissait de fabriquer de fausses factures destinées à alimenter des caisses électorales pour des politiciens locaux.
Le second est niçois, dirigé par un inspecteur des impôts de cette ville, Julien Zemour, cousin des truands du même nom, et bénéficiait nécessairement de la complicité des directeurs des hôpitaux victimes de cette fraude.
Le scandale révèlera la corruption de nombreux fonctionnaires dans diverses mairies de toute la France et de toutes couleurs politiques (Paris, Nice, Marseille, Clermont-Ferrand, Le Havre, Perpignan...).
Or, René Lucet est retrouvé mort le 4 mars 1982 officiellement « suicidé » de deux balles de gros calibre dans la tête.
Aussitôt, une violente polémique enfle : La droite accuse le gouvernement de l'avoir acculé au suicide.
La gauche, plus lucide, s'étonne de cette mort et se demande s'il ne s'agit pas d'un meurtre.
René Lucet aurait été tué parce qu'il en savait trop sur certains financements politiques.
Et plus d'un fait en devient troublant.
Tout d'abord, selon les rapports d'autopsie, les deux balles auraient été mortelles ET successives.
Comme si une seule ne suffisait décidément pas...
Ensuite, très précautionneusement, l'un des policiers a lavé la main de René Lucet après avoir relevé les empreintes, ce qui empêche de faire un test à la cire pour savoir si le mort a réellement tiré (test connu par toutes les polices du monde depuis bien longtemps...).
Enfin, le commissaire Marza rédige un rapport indiquant que ni la présence de sang au plafond, ni la position de René Lucet, ni le tir de deux balles successives ne peuvent être expliqués.
Le 16 mars, le corps de Lucet est exhumé : les experts affirment eux que les deux balles ont été tirées successivement et que René Lucet était vivant quand la deuxième fut tirée.
Un peu comme si, ravagé par la douleur du cerveau étalé sur le mur du fond, Lucet aurait lucidement mis fin à ses propres souffrances en appuyant une seconde fois sur la queue de détente de son arme !
Badinter s'indigne ! Pas du « suicide », mais que le procureur de Marseille, Albert Vilatte, n'ait pas fait remonter de telles informations et qu'il ait même refusé, dans un premier temps, le rapport du commissaire Marza.
Dès la fin mars, le procureur Vilatte est muté. Une enquête pour meurtre est enfin ouverte et ce n'est qu'en janvier 1988 qu'elle est classée faute de n'avoir pu jamais éclaircir les circonstances de ce « suicide » si particulier.
« Le Monde » n'a d'ailleurs jamais publié l'article de J. Malrieu sur le sujet (mai 1982).
« La main qui a appuyé le revolver sur la tempe de René Lucet ne se doutait pas qu'elle n'allait pas seulement faire sauter la tête d'un malheureux fonctionnaire.
Les deux balles qui ont fait éclater la cervelle de René Lucet pourraient bien à terme désintégrer la Sécurité Sociale et au delà de la S.S., le système de santé auquel elle sert de« vache à lait » ».
Il relève que si Lucet n'était pas mort, personne n'auraient jamais su qu'un directeur de Caisse de la S.S. pouvait s'octroyer 880.000 F de frais de représentation par an et s'offrir en outre quatre gardes du corps aux frais des assurés sociaux.
Tout le monde aurait ignoré qu'une Caisse primaire de S.S., à l'ère de la gestion informatisée, avait besoin de 3.300 employés pour administrer les dossiers de maladie d'un seul département.
« Il est scandaleux en effet qu'un service dont le seul rôle est d'encaisser des cotisations sociales pour les redistribuer aux ayant-droit, en l'occurrence les malades, puisse disposer de « frais de représentation », quel qu'en soit le montant. »
Il y a en effet en France 130 caisses d'Assurance-Maladie.
Si ces caisses suivent l'exemple de celle des Bouches-du-Rhône, c'est plus de 100 millions de francs par an qui sont extorqués à la Sécurité Sociale pour régler les dépenses somptuaires et les trafics d'influence de ses gestionnaires.
« Pour expliquer la progression des dépenses de la Sécurité Sociale qui dépassent aujourd'hui celles de l'État et absorbent à elles seules le tiers du revenu national, il faut aller chercher plus loin que la gabegie ou l'incurie administrative ».
Et pourtant, non seulement rien n'est vraiment changé dans l'administration des caisses d'assurance sociale, quelques deux décennies plus tard, mais chacun se tait.
Normal, depuis dès cette époque, non seulement on savait qu'ILS étaient capables de tuer un ministre en exercice, mais qu'une seule balle pouvait ne pas être suffisante quand il s'agit de protéger des « amis politiques » et leurs petits secrets...
Deux coups au but, c'est le « B.A. BA » de tout tueur à gage.