Mes « cousins » s’insurgent.
Ils ne décolèrent pas d’ailleurs.
Les militants de Corsica Libera et de l'associu Sulidarità sont particulièrement agacés par une série d'événements qui se sont succédés ces derniers jours. Alors que la Corse venait de comptabiliser son 19ème homicide et qu'une nuit bleue a fait sursauter tout le littoral insulaire, le ministre de l'Intérieur s'est exprimé.
Condamnant en bloc la « violence » et prônant le « harcèlement » contre ceux qui bafouent les lois de la République.
Bien, très bien : Si ça pouvait être vrai !
Vingt-quatre heures plus tard, cinq militants ou sympathisants de Corsica Libera sont interpellés... « pour fermer des portes dans l'attentat commis à Villanova au printemps 2011 » !
Si !
La belle réplique, LA solution à cette série d’homicides…
Lors de la conférence de presse tenue au local de l'associu, ces militants (remis en liberté, parce qu’il n’y a rien contre eux) faisaient partie de l'assistance.
À la tribune, Pierre Poggioli, Pierre Paoli, François Sargentini, Jean-Philippe Antolini, Jean-Marie Poli se sont relayés dans la prise de parole.
À l'appui de leur démonstration, des chiffres :
« En huit ans, il y a eu 85 assassinats et tentatives liés au grand banditisme dont une seule affaire résolue », une seule en 8 ans, résume Pierre Paoli.
Corsica Libera fournit une autre donnée, issue de ses propres statistiques : « Dans le même temps, il y a eu plus de 600 interpellations chez les nationalistes pour des faits de revendication politique... »
Cherchez l’erreur…
Dès lors, les dirigeants du mouvement affirment : « Les militants, les prisonniers politiques et les responsables de notre mouvement sont d'honnêtes travailleurs qui ont un train de vie en rapport avec leur travail. C'est ailleurs qu'il faut chercher les mafieux en tous genres ».
Bon, ça paraît énorme…
Les propos réducteurs, la réserve (pour ne pas dire la réticence) du ministre de l'Intérieur en matière d'avancées institutionnelles et les interpellations de mardi dernier forment un ensemble cohérent pour les membres de Corsica Libera et de l'associu Sulidarità : « Nous condamnons par avance la vague de répression qui s'annonce contre le mouvement national » affirment-ils.
Pour le mouvement, le choix ne doit pas se faire entre politique ultra-sécuritaire et règne du banditisme. Et les tentations de culpabilisation collective seraient « contre-productives ».
Un seul espoir pour le mouvement nationaliste : L'évolution institutionnelle (en matière de langue corse et de statut de résident notamment) qui semble être sur le point d'être entérinée par l'assemblée de Corse mais qui risque de se heurter à la Constitution...
Notez qu’on peut en discuter, même si ça n’avancera pas beaucoup plus et n’arrêtera de toute façon probablement pas l’hémorragie mafieuse…
L’équipe (elles sont deux) des tueurs à gage qui opère en toute impunité est toujours active.
Loin d’être neutralisée : Et Piétri se terre en servant de « chèvre » aux flics locaux.
Et puis les langues se délient au tour des chopines de bière locale (à la chataîgne).
« Je me rappelle qu’en 2005, les élections de la Chambre de Commerce de la Corse du Sud ont été annulées.
Le virus d’une fraude organisée s’était glissé dans les bulletins de vote. »
Cette institution est devenue désormais tristement et tragiquement célèbre. Tristement, dans l’affaire de la SMS, une vaste fraude aux marchés publics, et tragiquement car son président a été tué, mercredi 14 novembre, à Ajaccio.
La Chambre de Commerce contrôle les ports et les aéroports et gère un budget d’environ 40 millions d’euros, en plus des marchés publics.
Ce n’est pas rien pour une île comme la Corse.
C’est un enjeu !
« En 2005, j’avais entendu parler de pressions, de menaces.
Le climat était bien lourd quand les nouvelles élections avaient été organisées à la préfecture d’Ajaccio. »
Un journaliste tente de filmer le bureau de vote : « Alors que je filmais une urne transparente, une main était apparue dans le viseur de ma caméra, un rideau devant l’objectif. Pas des témoins.
Des élections publiques devaient se tenir… à huis clos ! »
Au sein même des locaux de la préfecture…
« On a revoté, les pressions ont redoublé et les mêmes ont gagné. »
Sans commentaire.
« Nous connaissons la suite. »
Plus de 70 morts. Des cadavres toujours sans assassin, tout au moins pour la justice. « Quant à l’État, aux gouvernements successifs, que des mots prononcés, comme dans le refrain d’une bluette obsessionnelle. »
Mafia, Violence et Omerta, trois mots, mais aucune réponse.
Silence… Sauf pour les promesses, et les subventions, beaucoup de subventions.
Le silence vaut de l’or.
Et pourtant, les corses parlent, parlent d’eux-mêmes, entre eux-mêmes.
« Que voulez-vous c’est la Corse … » glisse un gendarme, en gilet pare-balles positionné en bordure d’une nationale. À quelques mètres derrière lui un homme venait d’être abattu.
Les habitants de l’île seraient-ils donc naturellement criminogènes et muets ?
La réponse se trouve-t-elle dans le folklore, ou dans le mépris ?
Pourquoi ne pas chercher à recueillir, justement, cette parole, une parole qui serait inexistante, écrasée par l’omerta, péché originel de l’île, ou, plus précisément, des îles qui naviguent le long des côtes italiennes ?
« La Corse souffre d'un manque de débat ».
Ils sont professeurs, militants associatifs, syndicalistes, chefs d’entreprise, acteurs culturels. Ils regardent leur société en face. Ils parlent.
Mais, quand la Corse parle, qui l’écoute ?
« Le Gouvernement propose de nos jours une politique pénale territoriale, destinée spécifiquement à l’île. Des lois spéciales, dont certaines choquent la conscience sont prêtes. La loi sur le « repentis » est soudainement proposée comme une solution miraculeuse. »
Comme par miracle, la délation devient une vertu.
Et les victimes ?
Et les témoins ?
Ceux qui dénoncent sans contrepartie aucune, sans empocher les trente deniers qui ont aussi le pouvoir d’altérer bien des vérités, qui garantit leur protection ?
Qui a jamais garanti la protection aux victimes et aux citoyens qui osent témoigner ?
Souvenez-vous de la seule témoin visuelle directe de l’assassinat du préfet Érignac. Ne doit-elle la vie sauve que parce que les flics, tous les flics de la DNAT, de la Gendarmerie, du SRPJ local, et jusqu’aux ministres parigots la considéraient comme « non-crédible » ?
Même les Cours d’assises successives l’ont écouté poliment et piétiné consciencieusement son témoignage.
« Alors, ça sert à quoi ? »
Il est plus facile pour le gouvernement de promettre plus de justice, plus encore… tout en employant des moyens pervers, en installant un principe, la délation, qui rappelle des épisodes bien sombres dans l’histoire du pays.
Mais au fait, pourquoi se cacher toujours derrière les effets d’annonce alors que l’État avait, déjà, démontré que la loi pouvait être appliquée en Corse ?
Et ceci sans glisser dans une politique pénale d’exception, uniquement en ayant la volonté d’appliquer seulement les normes existantes…
Nous sommes sur une île de culture italienne qui est « Gauloise » depuis maintenant deux siècles. Et pourtant…
« Où est ici la République ? » s’interroge Marcu Biancarelli, l’écrivain.
« On nous explique qu’il y a eu une révolution en France … mais personne sait nous expliquer pourquoi nous vivons, ici, toujours sur la terre des seigneurs où tout le monde est soumis. »
La Corse est tenue à l’écart du contrat social et « à Paris on s’en est toujours accommodé. »
« La France a acheté l’île aux Génois et ensuite on nous a tout simplement laissé dériver. »
Un leitmotiv.
Une dérive de toute une île, qui a comme toile de fond la privatisation des transports, le développement de l’industrie du BTP et la bétonisation du littoral.
Le tout sponsorisé par de l’argent public.
Une dérive qui voit des honorables hommes d’affaires conditionner l’action politique, tandis que des franges nationalistes se gangstérisent en réaction.
Sous les yeux attentifs des hauts responsables politiques nationaux qui, depuis Paris, ont très bien compris que l’actualité dramatique de l’île de Beauté, rythmée par la violence, a aussi le pouvoir de déstabiliser la capitale et s’inscrire ainsi dans le jeu national.
Un jeu politique, qui ressemble à une guerre, qu’on ne se prive donc pas d’utiliser, cyniquement. La Corse comme un vaste terrain de bataille.
Un terrain de jeu de « parigots »…
« Comment veux-tu, Infree, que les continentaux comprennent ? »
Moi je comprends, pour avoir un pied ici et un autre là-bas. Mais je ne sais pas l’expliquer. Le dire clairement.
Tout ce que je vois, c’est que la peur, engendrée par les propos du ministre, grandit toujours un peu plus dans les esprits.
Et ferme les bouches comme des huîtres, font se détourner les regards, changer de trottoir pour ne pas avoir à entendre.
Et quand ils râlent, on les montre du doigt en ricanant ou en les rabrouant.
Pourtant, ils se connaissent tous et généralement s’apprécient mutuellement.
Sournoisement le ministre fait miroiter finalement un avenir plus que douteux…
Il sera difficile à chacun d’y adhérer.